I
Arbre, les mots sont sable.
Donnez-moi l'écorce du temps
avec l'ombre de mes voyages,
entre les branches et des visages.
La vie contre la mort, la vie
a flambé, flambe, flambera,
a brûlé, brûle, brûlera
la ville, ses bras, ses larmes.
Nous n'avions souvent pour toute arme
que la cendre de l'incendie.
Arbre, donnez à l'enfant sourd,
ombre, donnez à l'enfant sûr
d'une étoile au-dessus d'un mur
cette vaste prairie marine
où les jours sous un ciel mouvant
ont leur neige qui couvre le sang
et leur sens quand tout se termine.
II
Je sais, arbre de mon matin,
l'homme si loin de son rivage
que sa mémoire est dans mes mains
comme l'étoile des naufrages,
que sa mémoire est dans mes mains,
contre moi, dans sa blanche page,
et là-bas,comme au large, enfin.
III
Un jour sera de l'avenir
au pied, lumière de ces forêts
de bouleaux au cœur transparent.
J'ai lu un grand livre, enfant,
brodé d'or et couleur de sang.
Dans ce livre on voyait aussi
la mer d'un très ancien pays
et, peut-être, paupières baissées
de hautes vagues sous un cercueil
(houle des gens, houle de l'âme).
Ainsi le temps est moins blessé
Avez-vous le soleil des deuils
inconnu que la nuit entame ?
Ô musiques désaccordées,
voici venir notre passé
et des cassures et des lambeaux,
auprès, mon arbre, d'un tombeau.
IV
« No limit », c'était marqué par un pochoir
sur le gris palissade,
avec des lettres bleues d'une aube, je ne sais.
Eux, le pas léger.
Et, sous nos regards de lampe,
ils enjambaient les villes,
à se briser, mirages.
Et, le pas léger.
Souvent, ils étaient enfant-home, femme-
enfant
arbres, fleurs,
invisibles chemins.
« No limit » — mais que retenir ?
Et nos souvenirs avaient peur.
V
Sur les marches descendues,
sous les ailes entrevues,
une prière de silence
et l'aérienne
branche du Bien, branche du Mal
du ciel qui va.
Dimitri Stolypine
Les Cahiers Bleus, n° 3
1991