28 mars
L'arbre, pétrifié dans son désir lent d'attraper le ciel.
Gilles Fortier Demain l'estran |
Maurice Pasternak
graphite sur papier
25 mars Elle donne rendez-vous aux arbres...
Elle donne rendez-vous aux arbres, quand les feuilles se dérobent aux désirs de la saison. Les géants de bois se dévêtissent doucement et répandent dans les airs une pluie sauvage et colorée. Elle aime se mouvoir à l'intérieur de ce miracle. Ses pieds effleurent le sol, elle flâne dans l'air et son corps balance. L'amour, parfois, chavire sur des pointes exquises. Les arbres délivrent à la terre le secret des feuilles, ça pourrait être un poème aussi, étrangement panaché de mort et de lendemain, un spectacle d'ombres et de lumières. Les pauvres carcasses brunes jonchent les allées sauvages, immobiles, la silhouette amaigrie par des rêves de pluie. Elle effleure le bois transi et en caresse innocemment la dépouille avec des doigts experts. Comment pourrait-elle leur dire les mots ? L'apaisement, c'est aussi des gestes. Elle virevolte, dernière merveille visible qu'elle offre dans le secret d'une après midi. Une danse d'espoir, une légère grâce avant que les ossatures végétales ne succombent. Si la mort est si délicate, elle choisira l'automne. |
Jonathan Picard
La Variation des voix
Publibook, 2010
24 mars Élégie aux grands arbres du Morvan
Grands arbres, plaignez les soupirs d'un malheureux par ses désirs.
Je la voudrais ici, grands chênes, vous écoutant près de mon cœur.
Dans la nuit noire de ma peine, l'obscure nuit de mes douleurs,
chênes, les vents tirent de vous des chants si plaintifs et si doux
qu'ils m'enchantent et bouleversent. Arbres, vos cœurs inhumains percent
mon cœur, ce cœur tout rempli d'elle, qui près de lui voudrait sa belle...
Grands arbres, plaignez les soupirs d'un malheureux par ses désirs.
Paul Fort
Ballades françaises
Flammarion, 1982
20 mars L'arbre
Entre les racines d'ombre Et la chevelure d'air Tête en terre terre au ciel À mi-corps Apparent et caché Un nœud Où tournent enlacés Le désir que tu as de moi Et mon désir d'aimer
Je t'ai aimé arbre qui me ressemble Toi qui refusas la cime Pour mieux étendre Tes bras d'asile Où viennent se reposer Les colombes et les cygnes— Toi qui t'inclines Vers moi qui suis venu Aimanté par ton ombre Parce que j'ai reconnu Tes fibres où monte L'eau embrasée de la sève divine |
Ephraïm
l'offrande du cœur
Éditions Saint François de Sales, 1982
Photo : Château d'Allivet
18 mars Rupture
Ayant perdu la tête, grand-mère, un beau jour,
quitta notre logis pour aller s'endormir
dans l'arbre : elle y devint le fruit
d'un rameau dénudé, puis un oiseau,
puis la lune, elle se mit à chanter
une chanson d'enfant.
Ils finirent par l'emmener,
mais elle ne cessa de chanter ses désirs,
le temps de ses désirs, la violence
de ses désirs.
Avec sa ramure octogénaire,
sa sève servile et stérile,
son feuillage dépenaillé,
face aux quatre coins du monde, aux
quatre coins du monde, grand-mère,
face au silence.
Vahan Andréassian
La Poésie arménienne du Vè siècle à nos jours
Anthologie sous la direction de Vahé Godel
La Différence, 2006
17 mars Les arbres
Dans l’azur de l’avril et dans l’air de l’automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.
Sa grâce a des langueurs de chair qui s’abandonne ;
Son feuillage murmure et frémit en rêvant,
Et s’incline, amoureux des roses du Levant…
Le tremble porte au front une pâle couronne.
Vêtu de clair de lune et de reflets d’argent,
Le bouleau virginal à l’ivoire changeant
Projette avec pudeur ses blancheurs incertaines.
Les tilleuls ont l’odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.
Renée Vivien
Cendres et poussière
Alphonse Lemerre éditeur,1902
16 mars Les arbres
Ô vous qui, dans la paix et la grâce fleuris,
Animez et les champs et vos forêts natales,
Enfants silencieux des races végétales,
Beaux arbres, de rosée et de soleil nourris,
La Volupté par qui toute race animée
Est conçue et se dresse à la clarté du jour,
La mère aux flancs divins de qui sortit l'amour,
Exhale aussi sur vous son haleine embaumée.
Fils des fleurs, vous naissez comme nous du Désir,
Et le Désir, aux jours sacrés des fleurs écloses,
Sait rassembler votre âme éparse dans les choses,
Votre âme qui se cherche et ne se peut saisir.
Et, tout enveloppés dans la sourde matière
Au limon paternel retenus par les pieds,
Vers la vie aspirant, vous la multipliez,
Sans achever de naître en votre vie entière.
Anatole France
Les poèmes dorés
1873
Guillaume Bodinier
Dessin
Musée des beaux arts, Angers
15 mars Destinée végétale
Près du songe, la pierre du toit,
Un bras et un coude, ma branche
Frêle bâtonnet dit arbre, dit homme,
Je redescends, qui s’exalte, c’est un vent,
Un parfum ou la criée du songe,
Un dernier bien, seul arbre parmi mille,
Je vais, je ne me retiens pas, |
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14 mars Malgré tout
Le désir de vivre cherche son incarnation,
qui est un arbre en automne, seulement
un arbre et ses feuilles qui roussissent
et déjà s’envolent sous les nuages,
rejoignent la terre humide, seulement
un arbre et l'éternel corbeau
— tu as vu d'autres arbres, tu as connu
d'autres âges de la vie et au matin
il n'y a plus qu'un témoin, un peuplier
malade de l'automne et qui ne sera plus
bientôt qu'un compagnon de fer sous le ciel
où le désir de vivre frémit,
sans chemin, obscur à lui-même.
Paul de Roux
Entrevoir
suivi de Le Front contre la vitre
et de La halte obscure
Gallimard, 2014
13 mars Le Figuier et moi
Me voici près de toi. L'humilité
du pèlerin m'accompagne.
Tu m'as tout dévoilé : le temps
la douceur de l'air,
la naissance du jour.
Tu m'as appris le secret de l'ombre,
la profondeur des violets
et l'usage réservé du soleil.
Ta puissance qui fait demeure sous
l'écorce lisse au désir de tendresse.
Qui d'autre entendrait la sève battre
sous l'écorce pâle de l'aube ?
Qui d'autre recevrait le message clair
où vibre la fragrance de midi.
Je partirai pourtant. Je grandirai sur les chemins
du monde. D'autres feuillages brilleront
vêtus de fleurs plus vives. J'écouterai
d'autres murmures.
Je reviendrai toujours. Résurgence
est le nom de la prochaine eau vive.
Après le monde parcouru, je te retrouverai
sur mes routes de vent et mes retours.
Maurice Lestieux
Poésie sur Seine
Revue d'actualité poétique
n°84, novembre 2013