4 mars 2017 6 04 /03 /mars /2017 08:00

 

 

Le Printemps des Poètes 2017

22 mars

 

 

 

Ébène ébènes que d'ébènes

je suis l'ébène des chicottes et des matraques

je suis l'ébène tête de turc des têtes d'état

l'ébène des lendemains de fête nationale   serrons

la ceinture — retroussons les manches

l'ébène entassé dans les caves des navires

étouffé sous mille lieues à l'approche de sir wilberforce

soldé sur les marchés de la jamaïque

je suis l'ébène de la détérioration des termes de l'échange

nord-sud tiers-monde pvd

je suis l'ébène qu'on empoche

qu'on enfile

qu'on empile

qu'on empale

qu'on emballe

qu'on déballe

qu'on offre

qu'on coffre

qu'on vend et revend

je suis le cri de la plaine au lever du soleil

ébène pour cent

ébène de peurs pleurs frayeurs

ébène de sueurs je suis

encor

ébène

 

 

 

 

Noël X. Ebony

Déjà vu

Ouskokata, 1983

 

 

 

 

 

18 mars    L'arbre à soie

 

 

Cette asclépiadacée est un arbuste originaire d'Arabie et répandu maintenant dans le monde entier. On le trouve comme plante sauvage en Italie, en Sicile, en Sardaigne et en Corse. On le cultive déjà en Italie pour en tirer de la soie. La soie végétale a l'aspect de la vraie soie, mais est inférieure comme qualité. La culture en est extrêmement facile et d'un bon rendement. Elle ne coûte pour ainsi dire rien. Elle pourrait être cultivée avantageusement dans nos colonies d'Afrique.

 

 

 

Guillaume Apollinaire

L'arbre à soie

& autres Échos du Mercure de France

Gallimard, 1996

 

 

 

arbre a soie 

 

 

 

 

 

17 mars    Télégramme de Dakar

 

 

Dans le noir, le soir,
auto dans la campagne.
Baobabs, Baobabs,
baobabs,
Plaine à baobabs.

 
Baobabs beaucoup baobabs
baobabs
près. loin, alentour,
Baobabs, Baobabs.

 
Dans le noir, le soir,
sous des nuages bas, blafards, informes,
loqueteux, crasseux,
en charpie, chassés vachement
par vent qu'on ne sent pas,
sous des nuages pour glas,
immobiles comme morts sont les baobabs.

 
Malédiction !
Malédiction sur CHAM !
Malédiction sur ce continent !

 
          Village
          village endormi
          village passe

 
De nouveau dans la plaine rouverte: Baobabs
Baobabs baobabs baobabs
Afrique en proie aux baobabs !

 
Féodaux de la Savane. Vieillards-Scorpions.
Ruines aux reins tenaces. Poteaux de la Savane.
Tams-tams morbides de la Terre de misère.
Messes d'un continent qui prend peur
Baobabs.

 
          Village

 
Noirs
Noirs combien plus noirs que de hâle
Têtes noires sans défense avalées par la nuit.
On parle à des décapités
les décapités répondent en « ouolof »
la nuit leur vole encore leurs gestes.
Visages nivelés, moulés tout doux sans appuyer
village de visages noirs
village d'un instant
village passe

 
Baobab Baobab
          Problème toujours là, planté.
          Pétrifié  exacerbé
          arbre-caisson aux rameaux-lourds
          aux bras éléphantiasiques, qui ne sait fléchir.

 
Oh lointains
Oh sombres lointains couvés par d'autres
     Baobabs
          Baobabs, Baobabs, Baobabs
          Baobabs que je ne verrai jamais
          répandus à l'infini. Baobabs.

 
Parfois s'envole un oiseau, très bas, sans élan,
  comme une loque
  Un Musulman collé à la terre implore Allah
  Plus de Baobabs.

 
          Oh mer jamais encore aussi amère
          Le port au loin montre ses petites pinces
              (escale maigre farouchement étreinte).

 
Plus
plus
plus de baobabs
baobabs
baobabs
peut-être jamais plus
baobabs
baobabs
baobabs.

 

 

 

 

Henri Michaux

Plume précédé de Lointain intérieur

Gallimard, 2002

 

 

 

 

 

16 mars    L'arbre et l'oiseau

 

 

 

    L'arbre que peignent tour à tour l'étoile et la lune lorsque l'ombre apaise la pierre et le sable ;

    L'oiseau qui se purifie en chantant aux secrètes fontaines de l'aurore,

    Sont les gardiens bénévoles des cités.

    Ils éventent les desseins de la tempête et de la mer,

    Mais la mer et la tempête ne le savent pas.

    L'arbre est casanier, modeste et discret ;

    L'oiseau semble passer les saisons à poursuivre l'écho de sa voix.

    Jadis l'homme leur portait offrandes et prières.

    Ils ne sont plus que fioritures pour contes et légendes.

    On les transperce de flèches, on leur jette la pierre ;

    Mais les pierres et les flèches des cités oublieuses retomberont un jour sur elles-mêmes et sur leurs enfants.

 

 

 

 

Fatho-Amoy

L'Afrique noire en poésie

Gallimard, 1986

 

 

 

L'arbre et l'oiseau

© Elizabeth Gilbert

Un oiseau capturé

 

 

 

 

 

15 mars    Flore d'Afrique

 

 

 

    FIGUIER, ancien luron, tu t'es cramponné ferme au rocher ; tu n'as peur ni de l'orage ni du précipice.

    Comme un vieillard aux membres tors, déformé de rhumatisme, tu réchauffes d'abord ton corps gris au soleil ; et puis gaillardement tu pousses à la pureté céleste tes bourgeons pointus comme des oreilles de faune.

    Au plus lourd de l'été, si la terre en torpeur s'hypnoptise de clartés, tu sais ouvrir le parasol prudemment vaste de tes feuilles, offrir une citerne d'ombre fraîche ;

    ton voisinage est un dictame, toi qui as bu les pleurs de la Magdaléenne.

    Dans quel autre monde, quand tu fus jeune, as-tu connu ces chairs friandes auxquelles tu songes en mûrissant tes figues, si roses, si grasses ?

    L'âge ne t'épuise pas ; débonnaire tu donnes tes deux récoltes, l'une plus abondante, l'autre plus douce ; et tu recommences chaque année, Figuier biblique, vieux patriarche.

    À travers les siècles, tu t'es fait confiseur, bonhomme à l'odeur sucrée, et qui donc mieux que toi distillerait la goutte fondante au bout de ton fruit, topaze rare à l'expertise des gourmets.

    Tu te prodigues à côté des maisons nécessiteuses,

   toi que les rhapsodes ont chanté à l'égal du vin, toi qui abrites le tombeau blanchi des marabouts ;

    et c'est auprès de toi que chante mieux l'âme bucolique des flûtes, que bat plus fortement le cœur sourd du tam tam. Figuier, berbère montagnard, trésor du pays kabyle.

 

 

 

Louis Berlebach

Notre Rive

Revue nord-africaine illustrée

Mai 1927

 

 

 

Flore d'Afrique

Maison de Kabylie maritime et son verger de figuiers en hiver

Photo : G. Camps

 

 

 

 

14 mars    Le cocotier

 

 

Aigle végétal gravissant les nuages

Il a bravé le vif et le gril de la vie

Prenant racine dans l'humus ou la boue

Secouant la terre de ses cheveux têtus

Traversant ses entrailles par mille chemins

Se nourrissant de la mer ou du fleuve

Dribblant l'air mais toujours droit

Stipe clamant sa force

Stipe rageur et lumineux

Stipe descellant les pierres

Ton panache scintille comme l'éclair

Tes fleurs sourient victorieuses

Tes fruits se nouent en grappes géantes

C'est toi cocotier

 

 

 

 

Jean Métellus

Au pipirite chantant et autres poèmes

Maurice Nadeau, 1995

 

 

 

 

Le cocotier

Florence Catrin

flocatrin.canalblog.com

 

 

 

 

 

13 mars    L'arbre grand arbre

 

 

    Tes feuilles le relent des désirs des fenaisons aveugles des bras de mer
    Tes feuilles de plaie du Moyen Âge dans le souvenir de mes splendeurs
    tes branches d'épaules de femme labourée sur la soif des herbes coupantes
    arbre recommencé ton corps j'ai détaché de ton corps la carapace de mes clartés
    ton tronc d'épailles renouvelées
    ton tronc de lumière dans le champ noir des fleuris-nuit
    ton tronc de racine qui a pris tronc et la merveille le lit de l'escargot roulant
     ta gerbe tes racines le feu glacé de tes racines et les masses
d'hommes agrippés aux mamelles de tes douleurs.

 


      la souffrance comme un hiver aux sources des profondeurs.

 

 

 

Édouard Glissant

Le sel noir

Gallimard, 2010

 

 

        

          Sculpture en ébène

          source : Wikipédia

 

 

 

 

 

 

12 mars    Un baobab

 

 

Un paisible et géant baobab.

 

C'était la dernière vision humaine

qu'emportaient les esclaves noirs de Gorée

avant d'entrer, presque à quatre pattes,

dans les réduits ouvrant directement sur

la mer, d'où ils partaient pour les Amériques.

 

Chaque fois que l'un d'eux mourait, dans

ses fers, à fond de cale, il poussait,

quelque part sur une savane d'Afrique,

un baobab.

 

 

 

 

Jean Orizet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Philippe Charpentier

Un baobab

philippecharpentier.com

 

 

 

 

 

11 mars    Case nègre

 

 

                                        à Simone Schwarz-Bart

 

 

Malgré la solitude

      poteau-mitan relie

 

malgré la boue

      poteau-mitan enracine

 

malgré la sève

      poteau-mitan ne foisonne pas

      poteau-mitan ne s'incline pas

 

malgré le refuge

      poteau-mitan soutient l'issue

 

malgré le flamboyant

      poteau-mitan rougit son toit

 

malgré la soif

      poteau-mitan éconduit la pluie

 

malgré tous les malgré

      poteau-mitan tient la lumière

      poteau-mitan ouvre la ronde

      pour nous causer

 

 

 

 

Daniel Maximin

L'Invention des désirades

Présence africaine, 2000

 

 

 

 

Case nègre

Metellus Bekens

 

 

 

 

 

 

10 mars    Le vert des palmiers de ma jeunesse

 

 

Les pirogues serpentaient lestes

sur les eaux sales

éloignant scories et pourriture

fleurs troncs viscères

impulsés par la peur

et par la force des bras.

 

Plus haut ! Plus haut !

Dans les eux dansait l'aventure

dans les mains crispées la terreur

dans la poitrine dansait le danger

 

Le Cuanza débordant

de menaces et de despotisme

avançait sur la terre

dans un lourd déluge de pluies torrentielles

et l'élément enfin vaincu,

les crocodiles

festoyaient dans les bergeries abandonnées.

 

Je fuyais le vert

le vert-noir des palmiers

de ma jeunesse

 

Tous les dieux de la mystique des siècles

et leurs sacrifices

sanglants ou non sanglants

le souffle métaphysique des forêts sacrées

l'inspiration sacrée des xinguilamentos

et des sorciers

sont restés noyés dans les eaux

du danger qui dansait dans ma poitrine.

 

Il restait aussi

les orgies religieuses des funérailles

les divinations merveilleuses des maléfices

l'hystérie

des cérémonies crépusculaires pour la vie

et pour l'amour

l'odeur âcre du sang

la fécondité de la terre

l'objet changé en dieu

couleurs et poussière

gouttes et fragments d'os

larmes et chansons

secrets inviolables des sectes mystérieuses

humanité et inhumanité

la poésie

et les traces spirituelles du sang.

 

Moi

je caressais innocent le doigt du danger

       

Orava:

         Tata ietu uala ku diulu

          Fukamenu!

          Lengemenu!

          O ituxi! O ituxi!

          ô paradoxe des péchés !

 

Nouveau langage !

Jamais plus d'histoires racontées à l'ombre

du mamufeira

ou à la douce lueur d'un brasier enfumé

plus de singe ou de lion

de lapin ou de tortue

 

Fuir !

Laisser les reptiles festoyer dans les bergeries abandonnées

Avec tout ce que les années ont créé

le souvenir

de l'agilité des membres et des torses

des hanches et des voix

qui dans la nuit sombre se profilaient

dans la lueur du feu

la vibration le rythme

les dentelles des cocotiers

l'odeur de la terre désherbée et mouillée

la voix des hommes

l'esprit

la grâce de l'authenticité et de la certitude

syncopées par la marimba et le quissange

et soulignées par le tambour

la saveur douce et la joie de la tradition.

 

Je fuyais

et mon âme était piétinée

dans les bergeries abandonnées.

 

Que montent des symphonies de Beethoven

et des poèmes que l'ami Mussunda ne comprend pas

 

Je fuyais

le vert-noir des palmiers

de ma jeunesse

caressant le doigt du danger

 

Les dos !

et les dos symétriques courbés sur la terre

la traitant rudement à coups de bêches

qui scintillent

et les chants rythmant l'effort

la douleur

et la polygamie des affections

les larmes visqueuses des troncs sans branches ni racines

l'anxiété solidaire dans les pirogues qui glissent

sur l'eau

et les sourires orchestrés sous les éventails des cocotiers

ou l'impossibilité de ceindre le baobab

dans une étreinte

 

Tout est resté

là-bas en Afrique

dans l'Afrique de l'Afrique.

 

Et les eaux despotiques et dévastatrices

livraient pleines les bergeries abandonnées

à la faim indécente des animaux.

 

Je fuyais

souriant et triste

souriant et vide

sans terre, ni langue ni patrie

jouant avec l'aventure

tremblant dans le tangage des fragiles pirogues

confiantes

vers une métaphysique croisée de conjoncture

l'estomac vide

et l'âme

anéantie entre des mâchoires malsaines.

 

Plus haut !

Plus haut !

 

Je portais dans mon sang la joie des espaces

l'arôme des corps sacrifiés à l'humanité

la virginité des fleurs

l'angoisse des prisons

et de l'ignorance la peur

du ciel et de la terre

des dieux et des hommes

des cadavres et des vivants

la peur des abysses et des hauteurs.

 

Je portais dans mon sang

la chaleur humaine de l'amitié

la chaleur fiévreuse des rythmes violents de la nuit

et le vert brillant des feuillages

et du regard sauvage des petits oiseaux

le bruit des torrents

la soudaineté des éclairs

la terre

et l'homme.

 

Je portais dans mon sang

l'amour :

 

Je fuyais

le vert-noir des palmiers

de ma jeunesse

caressant innocent le doigt du danger

souriant et triste

laissant mon âme piétinée dans les bergeries abandonnées

 

Et dans les cris embryonnaires des vieux mondes

tout revit

cette dramatique jeunesse de retrouvailles

tout revit dans les poitrines gonflées d'anxiété

essoufflées par la force de la vérité

et qui s'appuient sur l'impérissable.

 

Qu'il est beau

le vert des palmiers !

 

 

 

 

Agostinho Neto

Espérance sacrée

« Sagrada Esperança »

Union des Écrivains Angolais

Éditions Delroisse, 1980

      

 

 

 

 

 

 

9 mars    Pourquoi cette feuille

 

 

À un détail près

le monde n'a pas changé

en si peu de temps

À un détail près

ce matin est une réplique

grisaille à l'appui

du précédent

À un détail près

le poids écrasant la poitrine

ne s'est pas allégé d'un iota

À un détail près

l'on se sent toujours vivant

un peu plus

un peu moins

Le même équilibre

fragile ou non

À un détail près

celui de cette petite question entêtante :

Pourquoi cette feuille

ni plus jaune ni plus verte que les autres

est-elle tombée de l'arbre ?

 

 

 

Abdellatif Laâbi

Écris la vie

La Différence, 2005

 

 

 

 

                    Florence Nérisson

                    florence-nerisson.com

 

 

 

 

 

 

8 mars    Je rêve d'un arbre

 

 

Dans la fine clarté de l’aube qui s’éveille,

Sous la fraîcheur timide de nos étés charmants

Se dresse tout puissant l’immense « Mandelier ».

C’est un arbre dont les racines

S’enfoncent profondément

Dans les grottes obscures de l’océan,

Un arbre dont le tronc dur et ferme

Défie les injures du temps,

Un arbre dont les branches solides

S’étendent gracieusement vers le ciel clair et pur,

Un arbre dont l’écorce épaisse

Renforce la résistance,

Un arbre dont les feuilles noires et blanches

Papillonnent au rythme du tam-tam,

Un arbre dont les grappes pesantes

Regorgent de « Mandela »

Fruit savoureux au goût de la liberté

Que produit à profusion

La terre sacrée d’Afrique.

Sous l’ombre de cet arbre de l’espoir

Nous cultivons l’entente, l’amitié et la paix

Pour le plus grand bonheur

De notre nouvelle Afrique.

 

 

 

Ali Mlinde

Anthologie d'introduction

à la poésie comorienne d'expression française

par Carole Beckett

L’Harmattan, 1995

 

 

 

 

Je rêve d'un arbre

Statue du Nèg Mawon (ou l'arbre de la liberté)

Khokho René-Corail et Alberto Lescay

Le Lamentin, Martinique

 

 

 

 

 

7 mars    L'arbre à palabre

 

 

À l'aube de l'indépendance tu existas.

Toi, notre bel arbre,

De qui es-tu l'invention ?

De qui es-tu l'incarnation ?

 

Parlerai-je de miracle ?

Ce serait ironique !

Parlerai-je d'un big-bang ?

Ce serait utopique !

Mais plutôt la marque de l'amour de Dieu.

D'un amour profond de Dieu pour l'Afrique.

 

Sous toi, nos rêves se sont réalisés ;

Sous toi, nos peines ont été apaisées ;

Sous toi, nos sages se sont regroupés ;

Sous toi, nos patriarches se sont concertés ;

Sous toi, des décisions ont été prises pour construire et faire

grandir notre Afrique ;

Sous toi, nous jeunes africains, devrions être formés.

 

Formés pour connaître les théories ancestrales,

Formés pour mieux connaître nos origines,

Formés pour vivre.

Où es-tu notre bel arbre ?

Qui t'a dissimulé notre joyau ?

Qui t'a déracinée, toi notre amulette ?

Qui t'a envoyée dans les oubliettes ?

 

Que l'Afrique te rende hommage  

Pour le Cameroun, sois comme un adage

Et pour la tribu Béti un présage.

 

 

 

Charline Berthe Ebe Evina

Renaissance africaine

Poèmes

Harmattan Cameroun, 2012

 

 

 

   

 

 

Doual'art

Doual’art

Centre d’art contemporain

Douala, Cameroun

 

 

 

 

 

6 mars    Saladi

 

 

L'arbre est féminin

au grand dam

de la langue française

Elle arbore ses seins nus

au grand dam des barbus

musulmans de la dernière heure

Elle est la source antique

protégée par les cierges

le scorpion

et le damier du destin

Le ciel en est ébloui

et les oiseaux préfèrent ses branches

aux replis mièvres de l'azur

L'Eden à ses pieds

dispense son eau de jouvence

aux baigneurs en conciliabule

De quoi peuvent-ils débattre

sinon de la douce folie

de la Créatrice ?

 

 

 

Abdellatif Laâbi

Petit Musée portatif

Al Manar, 2002

 

 

 

 

 

 abdallah-sadouk

   

Dessin de Abdallah Sadouk

 

 

 

 

 

 

5 mars    Les Souffles

Les Souffles

Les Souffles

 

 

Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’Ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les Morts ne sont pas morts.

Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.

 
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans le Feu qui s’éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,
Les Morts ne sont pas morts.

 
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.

 
Il redit chaque jour le Pacte,
Le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort,
Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde Loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve,
Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.
Des Souffles qui demeurent
Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit
Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,
Des Souffles plus forts qui ont pris
Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,
Des Morts qui ne sont pas partis,
Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.


Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.

 

 

 

Birago Diop

Leurres et lueurs (1960)

www.biragodiop.com

 

 

 

 

4 mars   

 

 

il est encore dit

dans le village d'où je viens

que les arbres aussi versent des larmes

lorsque perdure

l'absence des oiseaux

sur leurs branches

 

 

Alain Mabanckou

Les arbres aussi versent des larmes

L'Harmattan, 1997

 

 

 

 

 

sans titre

 © 2016 Yann Le Druillennec

SG

 

                  et des arbres...
   

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Sylvie Gaté