Le jardin
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Tant de forêts...
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Jacques Prévert
La pluie et le beau temps
Gallimard, 1955
Folon
Avec des haches
Photographie : Marie Rameau
Auschwitz, février 2007
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Sieben Stunden der Nacht, sieben Jahre des Wachens :
mit Äxten spielend,
liegst du im Schatten aufgerichteter Leichen
— o Bäume, die du nicht fällst ! —,
zu Häupten den Prunk des Verschwiegenen,
den Bettel der Worte zu Füßen,
liegst du und spielst mit den Äxten —
und endlich blinkst du wie sie.
Paul Celan
De seuil en seuil
Traduit de l'allemand par Valérie Briet
Christian Bourgois Éditeur, 1991
J'arrache
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Farhad Khojaste - 2007 |
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Prière d'aubier et de racine
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Il n'y a plus de racines...
Il n'y a plus de racines, pas même pour les rêves. Dans les espaces ouverts encore épargnés par les cités, rampent des steppes goudronnées résonnant d'anciennes rumeurs : plaintes des arbres abolis !
Parallèles ou perpendiculaires, toutes les routes se sont rejointes dans un asphalte infini que craquèlent parfois de nouvelles nervures : la ramification de ce qu'il reste des saisons...
Plaines noires où s'emboîtent de hautes tours blanches, amarrant la terre au ciel. Plaines noires peuplées de villes. Nouvelles jungles impénétrables. Lianes et serpents de béton. Routes sans route. Plaines noires de la déroute ! |
Hubert Treiber
Les graffiti du labyrinthe
Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1982
Les amandiers sont morts de leurs blessures
À Leïla Shahid
La Trouée de Rafah, village du nord-est du Sinaï, vient d'être détruite par les Israéliens, après que ses habitants arabes en ont été chassés. Un de ces hommes écrit à son fils.
Mon fils, Le jour s'est arrêté dans mes rides depuis que leur machine sanglante et grise est passée sur notre maison. Elle est formidable cette voiture immense qui ouvre sa gueule pour happer le peu de chose qui nous restait : un lopin de terre, un toit et trois amandiers. C'est une machine qui fait du bruit, brille au soleil et éclate en rire saccadé quand elle triomphe des petites fleurs sauvages et fragiles qui essaient de se relever. J'ai vu ses dents jaunies par le sang de la terre se briser sur un tas de sable. Un petit vent a emporté les racines de l'arbre. Le ciel s'est baissé et les a ramassées ; je crois même qu'elles habitent un petit nuage têtu qui ne nous quitte plus depuis que nous sommes sans toit, sans patrie. Ton petit frère a couru pour sauver de la poussière lourde tes livres d'écolier. Nous avons eu peur. La machine a failli l'avaler. Blessés dans notre terre, humiliés dans nos arbres, nous étions là tous les trois, figés et habités par une mort soudaine. Une partie de nous-mêmes, je crois la plus grande, est meurtrie ; ils nous l'ont arrachée tout naturellement, à l'aube. Nous sommes restés tranquilles ; ils ont ouvert nos plaies et nous avons bu notre mort. Elle a le goût de la sève ; ta mère dit qu'elle a le parfum du jasmin. Le ciel s'est ouvert à l'appel de l'oiseau orphelin, et nous avons aperçu un corps de lumière couvert de sang neuf. Le soleil trébuchait ce jour-là, car l'injustice froide creusait son sillon dans notre terre, notre corps. Notre mémoire percée d'étoiles n'avait plus de citadelle : elle devenait enceinte de nouvelles blessures. En 1948, tu n'étais pas encore né. La guerre a traversé notre champ. L'olivier était calciné. Notre destin était terni par la misère, mais il avait la rage de l'espoir. Certains sont partis avec une tente pour tout bagage, d'autres sont morts. Aujourd'hui, mon fils, nous ne savons pas où tu es. Où que tu sois, sache que nous ne sommes pas tristes. On nous dit que nos maisons sont inutiles et que nos amandiers sont ridicules. On nous dit que sur cette terre s'élèvera une ville, une ville moderne. Elle aura de belles avenues, des autobus et des chars. Elle ira jusqu'à la Méditerranée et s'appellera Yamit. Leurs machines perfectionnées avancent, avancent. Nos voisins ont reçu des cartes vertes. Ils peuvent rester chez eux quelques jours encore. Tu sais, le petit village d'Abou-Chanar, lui aussi va être détruit. La machine sanglante et grise avance, avance. On nous dit qu'il faut laisser la place à des hommes venus de loin, de très loin, des juifs venus de la Russie, mon fils. Notre bagage est léger : un sac de farine et peu d'olives. La foudre peut descendre. Elle foulera les sables mêlés de pierres brisées et d'arbustes abattus. Elle tombera dans le vide, étranglée par les serpents de la haine. Tu te rends compte, mon fils, ils demandent aux enfants de cette terre de venir la travailler pour le compte des « nouveaux propriétaires » ! C'est la seule fois où j'ai pleuré. Je sais, tu n'aimes pas les larmes; excuse-moi si les miennes ont coulé. Mais la honte s'est amassée dans mon corps comme les pierres, comme les jours, comme les prières. Notre terre battue par l'acier qui écrase les petits lézards, je la vois sur ton front comme une étoile, un rêve urgent qui nous rassemble. Tout change de nom. La main métallique efface les écritures sur nos corps. Des racines d'arbres attestent. Nous n'avons pas besoin de stèle. Notre mémoire est un peu de sable suspendu à la lumière. Elle est haute entre tes doigts. Nous t'embrassons où que tu sois. |
Tahar Ben Jelloun
Le discours du chameau
suivi de Jénine et autres poèmes
Gallimard, 2007
Traduction en arabe : Comme l'olivier..., ici je resterai
Belal Al Herbawi
BADIL Resource Center
2013
Révolte
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" Forêt "
Le champ
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Wladyslaw Broniewski
Vingt-quatre poètes polonais
traduits par Georges Lisowski
Éditions du Murmure, 2003
Seth et Lise
Présences
Les arbres m'ont porté la voix
D'une dangereuse présence
Qui met ma mémoire en croix
Lorsque la forêt s'obscurcit.
Derrière chaque arbre j'entends parler
D'une petite voix d'enfant :
On dirait qu'un homme oppressé
Se réinvente un langage.
Seul avec moi, j'entends monter,
Revenir la clameur paisible
D'une vie qui a arrêté
Le maléfice d'une fée.
Le vent passe dans les rejets
De châtaigner qu'un chevreuil broute
Au loin je crois entendre aussi
Le léger écho d'une serpe.
L'homme a rassemblé son fagot
Et s'en va pétrir la fournée ;
La femme l'attend sur le seuil
Et je sens une odeur de soupe.
Le temps, je crois, me joue le tour
De me battre le rappel
De la sève de chaque jour
Dans ma mémoire fatiguée.
Écoutant mieux je crois entendre
Le pas furtif de quelque armée ;
Chaque croquant vient de sortir
Une faux bien affûtée
Et monte un chant de liberté
Dans la forêt ragaillardie.
Je ne sais pourquoi je n'ai pas
Ma faux, ma fourche, ma guillade...
Je sens la révolte et l'émoi
Dans ma mémoire séculaire :
Jadis les aïeux, hier nos pères
Suivaient ici la voix du peuple.
J'entends le bruit de mes pas
La voix des arbres qui m'appelle
Je crois pouvoir trouver là-bas
Une résistance nouvelle...
Mais tout à coup je n'entends plus
La grande chanson délivrée :
Dans la forêt, y a plus personne
De toute vie elle s'est vidée.
Mais tendre le poing ou rêver
Ne peut pas sauver la chênaie :
J'entends le bulldozer venir
Dans la forêt désespérée.
Preséncias
Los aubres m'an portat la votz
D'una preséncia mau segura
Que bota ma memòria en crotz
Quand la forèst se fai escura
Darrièr chada aubre auve parlar
D'una pita votz de mainatge
Om dirià qu'un òme sarrat
Se torna inventar son lengatge
Solet emb eu auve montar
Tornar la clamor assuausada
D'una vita que a'restat
Lo meschaent voler d'una fada
Lo vent passa dins los gitols
De còdra que lo chabròu coda
Au luènh me sembla auvir maitot
Lo resson teune d'una poda
L'òme a fait son fais de bòi
E se'n vai prestir la fornada
La femna l'espèra au bassuèlh
E sente lo fum d'una olada
Lo temps crese me fai lo tom
De me tustar la rampelada
De la saba de chada jorn
Dins ma memoria fatigada
Mas, tot d'un còp io n'auve pus
La granda chançon desliurada
Dins la forèst i a pus degun
De tota vita s'es voidada
Mas tendre lo punh e rèivar
Ne sauva pas la jarricacla
Auve lo bulldozer 'ribar
Dins la forèst deseperada.
Michel Chadeuil
Poème mis en musique par Joan-Pau Verdier
Éditions Chapell