La grâce : Être un Arbre enchanté par des milliers de moineaux.
Jean-Yves Leloup L'art du Saule Éditions de l'OUVERT, 1987 |
Ô bel arbre
Ô bel arbre qui, de branche en branche Fait peser et ployer ton feuillage, Tisse la voûte de ta cime Autour du vieux tronc rudement dressé Et tamise un soleil luxuriant et changeant Qui plonge largement sur ton torse de bronze,
Qui sent s'alourdir de hauts bouquets L'éventail déployé de ton feuillage Et rôder alentour un pénétrant parfum. Tu vois sur son arête où filtre le soleil Glisser une lumière tendrement caressante Qui s'attiédit en cercles autour de ton faîte.
Châtaignier, selon le voyage Montant, hésitant, la tombée indécise Du jour et de l'heure encercle Ta totale envergure, car toi, pieux et tendre, Tu berces tes branches qui, allant et venant Mesurent la profondeur de mon souffle.
Dans la maison fraîche et obscure Pleine d'un silence attentif, le chant de doux oiseaux S'apparie à son propre murmure Comme ma craintive opulence S'insinue en pieuse pureté Dans un brillant cortège d'étranges images.
Ô bel arbre, beau châtaignier Puissé-je affronter comme toi Les jours dans une grâce souveraine — Moi qui, né pour une même beauté, Doué d'un même amour et d'un pareil éclat, Me trouve si misérablement seul...
Karel Van de Woestijne L'ombre dorée et autres poèmes Traduction par Marcel Lecomte et Georges Thinès La Différence, 1993 |
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Gustav Klimt, Tree of life, 1905 |
O Schoone boom
O Schoone boom die branke aan branke, uw loovren wegen laat en wanken, en't welven van uw krone weeft om't bonkig staan van de' ouden tronk, en, breed over't bronzen lijf gezonken, er wissel-weel'ge zonne om zeeft ;
die't breiden uwer waaier-blaêren van trossen hoog gebloemt bezwaren en zwoel van reuk omwaren voelt, en ziet hun zon-doorzegen zijde van teeder-streelig licht beglijden dat kringend om uw kruine zoelt ;
kastanjelaar, alnaar de reize, bij rijzen, dralen, dalend dijzen van dag en ure, in vollen vaêm omkringt u; daar ge, vroom en teeder, uw branken wiegt die, weg en weder, de diepte meten van mijn aêm ;
en binnen duister-koelen huize vol luister-stilte, aan eigen suizen den zang der zoete vooglen paart, gelijk mijn eigen schroom'ge weelde een schoone stoet van vreemde beelden in vroome zuiverheid door-vaart ; —
o Schoone boom kastanjelare, mocht ik de dagen tegen-staren als gij : in heerschende genâ ; — ik die, tot zelfde schoon geboren, met eendre liefde en eendre glore, zoo moederziel-alleene sta... |
La branche...
Il y a du bleu — en levant les yeux |
La branche
porte sa famille de feuilles
La feuille
tient d'une main la branche
Son poids
et sa légèreté
s'accordent pour rythmer la danse
Verte de couleur ici claire
ombrée au revers
Elle sourit
à sa voisine plus légère
plus svelte
Et à l'autre
Elles composent une présence
que visite la brise
Elles illustrent l'été
alors qu'un pinson s'égosille.
Gilles Claeys
Caillou blanc suivi de Élis l'Un
Cent Mille Milliards, 2018
Les oliviers aux longues chevelures
aux chevelures argentées
les oliviers
frémissent dans le vent
Les oliviers
se déployant
en lents mouvements
se mouvant
dans la grâce
d'une
Hellade
retrouvée
Les oliviers
plient sous le vent
se tordent et s'épanchent
dans l'aridité
des collines
dans le soleil
et sous le ciel
bruissant de mille feuilles
et de mille vols d'oiseaux
dans les fruits
et dans les fleurs
et les dunes de sable
et les herbes gémissantes
et la crainte de neige
de lave et de fumée
de
l'Etna.
Francine Virduzzo
Journal (1958-1974)
Éditions Saint-Germain-des Prés, 1979
Photo : Silvia Cerreto
Variation d'un rêve | Dream Variation |
Ouvrir tout grand les bras
Face au soleil, Jusqu'à la fin du jour rapide. |
To fling my arms wide In some place of the sun, To whirl and to dance Till the white day is done. Then rest at cool evening Beneath a tall tree While night comes on gently, — Dark like me,— That is my dream!
To fling my arms wide In the face of the sun, Dance! whirl! whirl! Till the quick day is done. Rest at pale evening . . . A tall, slim tree . . . Night coming tenderly Black like me. |
Langston Hughes Anthologie de la poésie américaine par Alain Bosquet Stock, 1956
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Artize
Vert tendre
L'amandier de Jérusalem
Ce n'est qu'un petit arbre, en sa rondeur fragile,
qui veut s'épanouir au cœur du firmament :
pourtant c'est lui, soudain, qui s'est couvert de fleurs,
on dirait dans le ciel un bouquet de comètes !
Ses griffes blanches et roses, ses languettes de flammes
dardent tôt le matin au bout de chaque tige,
entre les ongles tendres des bourgeons annelés
gluants comme du miel,
autour desquels murmurent, heureuses, les abeilles
butinant le soleil dans un jardin d'été...
Et si c'est pour cela
qu'inconsolés, pendant deux mille années,
chassés au bout du monde par l'implacable vie
du pays-du-matin, vu seulement en rêve,
nous avons attendu au fond de la nuit froide
comme des morts enfouis dans le sable et la boue, —
malgré tout, malgré tout, chers enfants du bon Dieu,
il refleurit pour vous sur la grille de la porte,
l'amandier qui s'élance au-dessus du jardin,
hors du cœur rajeuni de cet hiver de roc.
Sous leurs ailes de duvet immenses
par les tempêtes blanches des aubes de janvier
bien protégé contre l'ange et la mort,
soustrait au bec du méchant corbeau noir
qui veut se rassasier du germe de la vie,
déjà mûrit secrètement en toi
comme au milieu d'un feu de printemps clair et doux,
avec tout son tissu de cellules lactées,
le fruit de l'amandier aussi pur que le miel !
Là-haut, sur son étoile errante
à l'œil vert et doré d'éclair,
qui vole dans la nuit par les isthmes du ciel
lorsque sur la terre étrangère
longtemps il neige encore sur les pays sans nom, —
tu te mets à fleurir, et tout à coup tu chantes
par chaque tige nue de ta jeune couronne,
comme au début de juin les abeilles bourdonnent
dans la lumière verte au lever de l'aurore,
et tressent une natte blonde
sur tes tempes tièdes d'enfant, —
oui, bien qu'il te menace, l'archange de la mort,
contre lui justement,
malgré tout, malgré tout,
tu demeures pour moi la fiancée d'été,
ma toute jeune, ma toujours belle,
ma nouvelle Jérusalem !
Claude Vigée
Aux portes du labyrinthe
Flammarion, 1996
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Sophie Duplain L'Éclaireur |
Au milieu de nos belles et paisibles forêts, il existe un arbre que j’admire et que j’aime. Ce n’est pas le chêne superbe qui balance dans les airs son faîte chargé de feuillage et d’années ; ce n’est pas non plus le hêtre, le hêtre si cher aux vers du doux Virgile et sous lequel il soupirait ses harmonieux accords. Cet arbre si riche de sa simplicité et de sa modeste élégance, c’est le bouleau. Ses feuilles dentelées et transparentes, son tronc uni et élancé, et je ne sais quoi de gracieux et de mélancolique dans ses branches flexibles et recourbées, lui donnent un caractère tout à la fois triste, suave, léger, qui plaît infiniment aux regards. Lorsqu'une brise légère vient agiter doucement son vert feuillage, cet arbre solitaire s'incline gracieusement vers la terre avec un mélodieux frémissement. Le bouleau n'exprime ni la douleur terrestre que le saule représente en laissant tomber ses longs rameaux, ni la fierté du chêne dont le faîte élevé domine tous les arbres des forêts ; il ressemble à ces âmes tendres et mélancoliques qui ne recherchent la solitude et l'oubli que pour penser et pour aimer. Placé comme entre le ciel et la terre, il semble tenir de l'éclat des deux mondes, et inviter les âmes pensives, aimantes et recueillies, à se reposer sous son frais ombrage.
Olivier de Saint-Albin Le Magasin Universel Publié sous la direction de savants, de littérateurs et d'artistes Octobre 1936
Alexandra Battezzati Bouleau sous la neige acrylique sur toile |
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Ode au prunier
Lu Zhi 1570 (Ming) Musée Guimet, Paris |
Décembre 1962
Sur la mélodie de « Prophétie »
Vent et pluie : départ du printemps
Une poudrerie de neige accueille son retour ;
Falaise de mille pieds recouverte de glace
Là cependant, une branche fleurie offre sa grâce.
Sa beauté ne la fait pas rivale du printemps
Mais n'en est rien d'autre que la messagère
Quand la montagne sera en pleine floraison
Elle sera, au milieu, comme un sourire.
Mao Tse-Toung
Poésies complètes
et artistes et écrivains dans la Chine nouvelle
Seghers, 1976
(...) Je m’en vais dans le champ avec un jeune pommier à planter. Je le pose par terre, je le tourne, je regarde ses branches à peine ébauchées prendre leur place dans l’espace qui les entoure. Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d’élégance. La beauté qui leur est nécessaire c’est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d’étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches. |
Erri De Luca Trois chevaux Traduit de l'italien par Danièle Valin Gallimard, 2002 |