Tu vois là-bas, où le pan de forêt s'élargit,
le tremble qui incline ses feuilles frémissantes,
toutes éployées vers l'incendie du ciel,
accompagné de l'herbe et des épervières,
qui semblablement s'en vont vers l'hiver.
Mais tu vois aussi l'obscurité d'un mur,
quand l'arbre vit en lisière des villes,
que souvent frôle d'un frisson sa frondaison
et tu y mesures le chagrin
de ces temps, quand il tressaille sans raison.
Il s'enracine à grand-peine dans les cailloux,
qui le poursuivent en le tenant —
et Daphné¹ fuit la limitation, la mesure
et la truelle dans la chute du feuillage
et reste en marge de notre monde.
Elisabeth Langgässer
Anthologie bilingue de la poésie allemande
Traduction par Jean-Pierre Lefebvre
Gallimard, 1993
¹ Daphné, fille du fleuve Pénée, insensible à la passion amoureuse d'Apollon, fut transformée en laurier au moment où celui-ci allait la saisir. C'est en souvenir d'elle qu'il orna dès lors sa lyre d'une branche de laurier. |
Daphne
Du siehst, wo sich der Waldhang weitet,
die Espe zitternd niederwehn,
dem Brand des Himmels hingebreitet,
von Gras und Habichtskraut begleitet,
die ähnlich in den Winter gehn.
Doch auch das Dunkel einer Mauer,
wenn sie am Saum der Städte lebt,
berührt oft ihrer Krone Schauer,
an dem du dieser Zeiten Trauer
ermissest, da sie grundlos bebt.
Sie wurzelt mühsam im Gerölle,
das sie verfolgt, indem es hält -
und vor Begrenzung, Maß und Kelle
flieht Daphne in das Laubgefälle
und steht am Rande unsrer Welt.
Elisabeth Langgässer
1935