Au beau temps de ma libre enfance,
Heureux déjà de rêver seul,
Des jeux fuyant la turbulence ;
J'allais ; dans un pieux silence,
M'asseoir à l'ombre d'un tilleul.
Ce tilleul au vaste feuillage
Était loin du seuil paternel ;
Je ne voyais, de son ombrage,
Que le clocher de mon village
Tout au fond, entre terre et ciel.
J'étais si bien sous cet ombrage !
J'étais si libre et si vainqueur !
J'étais le roi du paysage.
L'oiseau chantait dans le feuillage,
Et l'espoir chantait dans mon cœur.
Ô mon arbre! que de pensées
Je te confiais tour à tour!
Ah ! sur ton écorce tracées,
Le temps les a-t-il effacées,
Les lettres du premier amour ?
Depuis, l'existence flottante
M'a fait pèlerin sans repos.
Partout où j'ai dressé ma tente,
Partout mon âme haletante
Soupirait après tes rameaux.
Et je pensais à ton ombrage,
Aux mots gravés, à ta fraîcheur,
Au vieux clocher de mon village.
— L'oiseau chante encore au feuillage ;
Le regret seul chante en mon cœur.
Nicolas Martin
Poésies complètes
Borrani et Droz, 1857