Prendre langue et racine en l'humus de parole et croître Gravir l'échelle du sous-bois entre lichens et vesses de loup Puis la promesse des frondaisons des hauts feuillages où l'arbre épais fraternise avec le ciel de lit du dehors et noue son espace intérieur — Cette promesse mérite lenteur de sève et patience et certitude d'ascendance — Pas écraseurs sur le terreau de bois pas citadins privés d'espaces de terre molle puis l'alerte des limaces et des rongeurs et mains d'enfants déchireuses Scies mécaniques haches scies couteaux et tous ces cris du dimanche — invitations au suicide des baliveaux Il faut beaucoup de courage quand on est arbre pour continuer de s'aimer et d'espérer en sa propre ramure — Pourtant au-dedans on grandit Multiple berger la forêt solidaire protège son troupeau exorcisant les ronces mêmes et veillant Un chant de bois vivant s'élabore où chaque essence ourdit un silence complice — Mais que vienne l'heure il se fera un grand concert dans la polyphonie des aubiers unanimes un cri et l'on ne prendra plus le bois des arbres pour dresser échafaud ou tailler crosses de fusils ! Alors tout arbre sera poète prenant langue et racine en cet humus de parole où le pourrissement d'une seule feuille est défi au néant Ainsi soit-il — Roland Nadaus 39 prières pour le commun du temps Éditions Jacques Brémond, 1979 |