En arrivant à la chênaie, Matelot s'arrêta pour chercher du pied le creux de la sente. Antonio entendit le bruit de la forêt. Ils avaient dépassé le quartier du silence et d'ici on entendait la nuit vivante de la forêt. Ça venait et ça touchait l'oreille comme un doigt froid. C'était un long souffle sourd, un bruit de gorge, un bruit profond, un long chant monotone dans une bouche ouverte. Ça tenait la largeur de toutes les collines couvertes d'arbres. C'était dans le ciel et sur la terre comme la pluie, ça venait de tous les côtés à la fois et lentement ça se balançait comme une lourde vague en ronflant dans le corridor des vallons. Au fond du bruit, de petits crépitements de feuilles couraient avec des pieds de rats. Ça partait, ça fusait d'un côté, puis ça glissait dans les escaliers des branches et on entendait rebondir un petit bruit claquant et doux comme une goutte d'eau à travers un arbre. Des gémissements partaient de terre et montaient lourdement dans la sève des troncs jusqu'à l'écartement des grosses branches.
Antonio s'adossa à un fayard. Près de son oreille il entendit un petit sifflement. Il toucha avec son doigt. C'était la sève qui gouttait d'une fente de l'écorce. Ça venait de s'ouvrir. Il sentait sous son doigt la lèvre du bois vert qui s'élargissait doucement. |
Jean Giono
Le chant du monde
Gallimard, 2000