Gros-Pierre dans son héritage
Avait un cerisier où mille fruits exquis,
Vermeils, pareils à des rubis,
Brillaient au milieu du feuillage.
Mais bien qu’il y prit soin, le vigilant fermier
N’en mangeait pas tout seul, ni même le premier ;
Les moineaux de son voisinage
En étaient friands comme lui,
Et mettaient son arbre au pillage,
Sans respect pour le bien d’autrui.
« Eh quoi donc ! chaque jour nouvelles entreprises
De ces brigands ! dit notre homme en courroux.
Moineaux gourmands, est-ce pour vous
Que j’ai de ce canton les plus belles cerises ?
Non, de par tous les dieux, guerre et point de quartier.
Je veux dans ma juste colère,
De votre race téméraire
Exterminer jusqu’au dernier. »
Il dit, prend son fusil, se met en embuscade,
Fait feu sur les voleurs pris en flagrant délit.
Sous les coups de la fusillade
Plusieurs tombent sans vie, et le reste s’enfuit.
Au bout d’une heure ou deux la bande se rallie,
Et Gros-Pierre, témoin de leurs larcins nouveaux,
Comprend enfin que c’est folie
De tirer sa poudre aux moineaux.
« Il en coûterait trop, dit-il, de les détruire :
Empêchons-les seulement de me nuire »
Il affuble alors deux bâtons
De vieux chapeaux et de haillons.
Moineaux de s’éloigner ; mais la perfide engeance
S’habitue à l’objet qui causait sa terreur ;
L’épouvantail connu cesse de faire peur,
Et le pillage recommence.
Désespéré de voir ses efforts superflus
Écumant de rage, Gros-Pierre
Va prendre sa cognée et jette l’arbre à terre.
« Maudits moineaux, dit-il, vous n’en mangerez plus ».
André-Clément-Victorin Bressier
Fables et poésies diverses
Hachette,1837