où l'on ne parle pas, où l'on se tait même
avec le pied comme si le pied fracturant une branche
rompait d'un croisement, d'une croix
l'adhésion au silence, trahissait la germination
souterraine des souffles, la complicité des fougères
et des bronches, l'arborescence ancestrale du sang
dans l'arbre veines, où l'on ne blesse pas le corps
humide, maternel du silence comme d'une virginité
féconde, le rêve avec les yeux ouverts est la seule conduite
la langue endormie dans la bouche n'épelle pas
les mots, le mot «forêt» seul demeure en lisière de la conscience
comme un surcroît de feuilles, d'essences tel que la
parole tolérable est de l'oracle du vent dans les cimes, rien
ne se dit qui ne soit déjà, avant, plus loin que le dire
même, taire, se taire requiert la concentration, une
grande intelligence du corps en alerte comme si tout entier
le corps s'accordait à une source, une inaccessible
et lourde liquidité, le cri peut-être, le cri
qui déchire, le cri de naître, atteindrait la stridence
identique à l'épaisseur qu'il crèverait, en attendant
le cri la régression s'organise, la rentrée dans la forêt
fait croître les dimensions de l'univers, la voûte
la cavité la gorge tend ses cordes, la lyre
remonte aux astres
Jacques Darras
L'indiscipline de l'eau
Anthologie personnelle, 1988-2012
Gallimard, 2015