I
Cet arbre ridé se blottit en ma mémoire
D'une main de lépreux il avait le tracé
Le tronc noueux aux moignons desséchés
La curve d'une paume où l'on ne peut plus boire
II
Seule se regorgeait de la fraîcheur du marbre
Une feuille aux veinules irisées par la pluie
Filée, silencieuse sous les doigts de la nuit
« C'est l'été » me disais-je en regardant cet arbre
III
Et dans l'air il y avait déjà le chant des bêtes
Le crapaud aiguisait un hymne familier
La terre s'amollissant en senteurs mouillées
Gardait, prête à jaillir la splendeur d'une fête
IV
Mon orgueil savourait l'élan de sa prière
Issue, turgescente, de la boue pétrifiée
C'était de mon désir, la cision purifiée
Et la lune elle-même blanchissait sa lumière
V
Et je savais aussi que deviendrait poussière
Le tronc de fine écorce, ses racines pourries
L'orage avec l'éclair d'un visage qui rit
A réduit en un rien l'éclat de ma colère.
Christine Razanajao
Les nouveaux cahiers de jeunesse
N° 24-25, 1962