L'arbre tomba puis rebondit au sol comme un arc.
La lumière s'engouffrait dans la brèche. On vit des insectes
soudain pressés d'en découdre avec l'air doré de l'automne,
on vit l'arbre perdant son eau alentour, les fourmis
qui s'y noyaient par dizaines, et peut-être aussi,
malgré la somptueuse accolade de la tronçonneuse,
l'âme du bûcheron qui voltigeait parmi ses victimes.
Il parlait tout seul.
Il cubait en maugréant.
Sa femme l'avait quitté deux mois plus tôt.
C'est idiot de le raconter, de le dire ici.
Les grands bois font toujours penser à la mort.
Un jour je prendrai ta main dans l'auto
et nous partirons.
Les insectes s'écraseront sur la vitre.
Les gouttes resteront suspendues.
Partout il y aura du sang de mouches, du sang au grand perlé,
la mucosité fulgurante des phalènes
et nous oublierons peut-être nos baisers de la clairière,
le craquement du grand vieillard végétal
son écorce fendue,
puis nos deux sèves sur les grumes,
nos deux étreintes de bourreaux.
Yves Bichet
Le rêve de Marie
Le temps qu'il fait, 1995