Mystérieuse terre,
Ô ciel, tu refuses les feuilles
Où se corrompt le clair été.
Mais à l'éternelle, forêt
les labours éreintés implorent
Une pâture de lumière.
I
Point de nid qu'à l'aurore
La forêt ne découvre désert.
Des sillons infinis tourbillonnent
Au delà de l'orée
— Qui es tu ?
Rien que des faces éphémères
Ont paré l'automnale durée.
— Qui es-tu ?
Et l'ange qu'embaume la terre
Cherche, d'une main sage,
Sa figure dorée
Sous le feuillage humide de ses ailes.
II
— Celle dont aucun jour n'a fait s'épanouir
Les paupières ensevelies...
Les saisons opiniâtres
Avaient pourri sur la graine rebelle.
Nulle cime promise
Au vent : l'averse de l'automne
Avait souillé la chair indifférente.
— J'ai soulevé ce tronc morose
Qu'appelle ton baiser.
Quel sommeil sûr s'obstine à s'épaissir encore
La sève qui ruisselle et m'ensanglante ?
Est-ce en vain que j'élague
Cette gorge écumeuse et touffue ?
Aime-moi :
Parmi la forêt vague et nue,
Qu'éclate un feuillage étranger !
La nuit pourra monter de ma chair souterraine
Et mes rameaux s'enraciner dans l'ombre :
J'ignorerai les plaines naufragées,
Unique espérance feuillue
Qui, vers ton ciel avide et sombre,
Tendra sa face extasiée.
La campagne houleuse
N'entendait plus vivre les morts.
Le nuage ni la lumière
N'écumaient dans le ciel.
À la dérive, l'arbre vivant
Songeait à tous ses fruits perdus.
III
— Qui es-tu ?
L'ange, dont tu ouvres les ailes
Au bord de l'extrême labour,
Te découvre, étrangère,
Ta chevelure et ta bouche anxieuse.
— Qui es-tu ?
Et te voici qui suscites un jour
Ignoré, la robe lisse
De ta chair, la source, la scabieuse,
Un sein déjà plus lourd que boivent les fougères...
— Qui es-tu ?
Et tes lèvres frémissent
IV
— Celui qu'a consumé une moisson d'ivraie
Dans la nuit pure de l'été.
Point de vivante graine
Pour qu'éclose l'eau vive
En ce sol épuisé.
Ruisselante espérance,
J'ai trop longtemps imploré la nuée
Qui eût baigné le guérêt misérable.
Pourquoi venir ? Pourquoi la pluie ?
Vois ma chair dévorée
Que l'admirable automne
N'a point jonchée de fruits !
L'aride fleuve en vain boit les marées.
Abandonneras-tu une première larme ?
N'écoute point, ni la plainte des morts,
Ni le désir des racines stériles.
Pleure. Dans l'aurore,
Les germes les plus limpides
Méditeront une éteule serrée.
Et les sillons fumants fléchiront vers le Nord
Qu'ensemence l'Ourse infaillible.
L'arbre n'espère plus
Ni la lumière de l'aurore
Ni la sève égarée.
Et tes astres, ô ciel,
Autant de fruits stériles
Dans la ramure de novembre.
V
Il a suffi d'une aile dénouée
Pour nous reconnaître.
Ô visages inaltérables,
Lèvres élues pour le cantique de l'été,
Vers votre lumière céleste,
Voici l'élan de la poussière,
La cime bondissante...
J'ai trouvé l'ombre
Éternelle de la ramure.
La chair ne s'effeuillera plus...
Ô femme neuve
Que rudoie doucement l'étendue,
Mes jachères les plus lointaines
Ont découvert dans ta feuillée
Leur parole divine.
L'automne vain peut assombrir
La plaine travaillée :
Captif de nos membres touffus
Et du verbe de notre amour,
Le ciel murmure un feu subtil et sûr,
Le doux ciel sans étoiles,
Abîme étale et bleu du jour,
Incorruptible azur où songe
L'ange mystérieux.
Gaston Compère
Lux Méa
Anthologie poétique et arbitraire (1952-2004)
Maëlstrom Éditions, 2004