(...) Vivant je porte en moi la mort,
ma mort, à moi-même secrète, incroyable et certaine,
le fruit du fruit trop vite mûr, la graine de la graine ...
Peut-être serait-il moins bon de naître sans racines
qui vont plus profond dans le sol
(que les branches dans l'air,
tellement qu'elles tirent tout à elles d'origine ;
et mon poème aussi retourne au premier cri. Désert
où tombe la Parole, ah ! j'y applique mon oreille :
si malgré les buissons d'indifférence et les corneilles
de l'oubli cette semence allait fleurir, gisement
de parole qui jaillit soudain de lèvres en nombre !
Si le sable se tait et si j'y perds jusqu'à mon ombre
je rêve à ces terriers du cimetière musulman
que seuls les corps ensevelis comme une houle bombent.
Mais il y a cet Arbre au dernier jour où calmement
mon corps fructifié pousse les mains hors de la tombe.
Luc Estang
Les quatre éléments
Gallimard