Borgeby-Gård
Viens juste après le coucher du soleil,
vois le vert vespéral des pelouses ;
ne dirait-on pas que nous l'avons longuement
épargné et accumulé en nous,
afin de le tirer maintenant de nos sentiments
en souvenirs, espoirs neufs, joies à demi oubliées,
et, encore mêlé de nos ténèbres intérieures,
le dispenser devant nous en pensée
sous les arbres qu'on dirait de Dürer,
qui portent dans leurs fruits rebondis
le poids de centaines de jours de labeur,
dévoués, patients, cherchant comment
élever encore et prodiguer
ce qui dépasse toute mesure,
quand par la consécration de toute une vie,
on ne veut qu'une chose, et croît, et se tait.
Rainer Maria Rilke
Nouveaux poèmes II
Œuvres poétiques et théâtrales
Gallimard, 1997