Ce temple de cyprès, qui ne chante ou murmure,
Profond comme la mort ;
L'éternelle épaisseur fixée à sa ramure
Par le décret du sort ;
Sa funèbre beauté, son âme ténébreuse,
Et cet esprit amer
Qui fait rendre à l'excès de la chair amoureuse
L'essence de la mer ;
Était-ce toi, sinon quelque sombre feuillage,
Tissé de toutes parts,
À qui tu n'empruntais qu'une invisible image
Et d'aveugles regards ?
Sous leur abri, jadis, quelle fureur panique,
Quel dieu vaste et secret,
Nos lèvres et nos bras à sa force impudique
Longuement resserrait !
L'impénétrable nuit, les cieux, et le mystère
De leur divine horreur,
Avaient aux yeux, auprès de ce bois solitaire,
Une moindre noirceur.
Jusqu'à nous quelquefois, par l'écart du nuage
Que sa marche interrompt,
Une fumeuse Hécate au sinistre visage
Dardait son double front.
Mais nous, sans autres soins que l'ombre et le silence,
Et le même désir
Où venait entre nous notre unique présence
À peine se trahir,
Nous laissions, confondus, sur mainte étroite couche,
S'apaiser tour à tour
Et monter la lenteur de ce nombre farouche
Qui préside à l'amour.
Cyprès, c'est à présent de votre fruit funeste
Exprimé tout entier,
(Pourquoi d'un feu si beau faut-il que rien ne reste
Aux cendres du brasier ?)
C'est de leur triste miel qu'aujourd'hui je m'enivre,
Et vos graves rameaux
Que j'entends seuls en moi se répondre et poursuivre
Un peuple de tombeaux.
François-Paul Alibert
La guirlande lyrique
Paris, 1925