Il y a trois visions dont on ne se rassasie jamais — comme du pain pour les yeux — , qui au contraire nous soulagent indéfiniment : la vue d'un ressac, du frémissement d'un feu, d'un feuillage d'arbre ridé par la brise. Les trois montrent le monde comme une métamorphose permanente et un éternel retour du même, nous rappellent qu'à notre tour, nous ne sommes qu'une partie de son déferlement anonyme, et d'avance nous fondent en douce dans sa trame. L'arbre est de plus un être singulier, à la fois frissonnante matière de l'existant et une divinité inconnue. Impersonnel autant que paternel, il nous regarde dans chacune de ses feuilles, sans nous regarder, et nous protège — nous soigne — par là même. De notre côté, en retour, nous le visitons du dehors comme du dedans, le hantons et habitons en lui, à la fois nulle part et partout.
L'allée se borne à accompagner notre marche ; alors que nous la traversons, nous ne sommes qu'un glorieux déplacement d'un nulle part vers un autre, le tournoiement d'un vélodrome déplié en ligne droite. On passe en bâton-témoin d'arbre en arbre, autant qu'entre les morts qui font la haie dans les intervalles, le prochain désastre vient vers nous avec le murmure des cimes et, déjà, s'y évanouit en un écho apaisant. Nous entendons d'autant mieux gronder l'usine que nous sommes, sachant comme jamais n'être là que pour permettre au monde de se regarder lui-même, par nos yeux. |
Petr Král
Notions de base
Flammarion, 2005