Il a fait froid : depuis trente ans peut-être
il n'avait plus neigé ainsi
sur la Méditerranée.
D'abord vinrent le gel et le givre.
Ils brûlèrent comme on peut brûler
sans plaie ni flammes,
ils devinrent gris, friables
puis se creusèrent, inconsistants
au toucher, engourdis
et plus inertes que des morts,
les artichauts dans les potagers, les gardénias
dans les parcs, les géraniums.
Montés en pierres sèches
quelques murets de soutien s'éboulèrent aussi.
Parmi les roches répandues, la terre
s'éparpilla comme farine
d'un sac blessé.
La neige tomba longtemps : pendant quelques heures
on ferma l'Aurelia au Capo Berta.
Il y eut du silence, comme parfois
dans l'attente ou la pensée
d'un miracle.
Puis elle s'arrêta, il faisait nuit désormais, le jardin
était vaste et blanc, inconnu
un jardin
lointain, même s'il suffisait
de quelques marches pour l'atteindre.
Certains arbres supportaient la neige
comme par habitude.
Les cèdres du Liban, bien sûr,
les chênes, la ligne crépue
des cyprès, les lauriers
les plus hauts, les aubépines, les néfliers
dont les feuilles ressemblent
aux carènes des barques.
Sur les autres, sans vouloir
ou sans pouvoir
trouver sa place,
la neige se balançait :
sur les branches des pins maritimes
dressées comme les bras d'un candélabre,
sur les cimes affûtées en touffes
d'aiguilles drues,
comment pouvait-elle
tenir ?
Et sur les feuilles des palmiers
de Libye, pareilles aux rayons du char
du soleil
où pouvait-elle se poser,
cette étrangère ?
Elle se balançait, entre d'infimes
avalanches.
Sur les aloès et les
inaccessibles épis rouges
de leurs premières fleurs
elle voulut s'incruster, faire pression
de son poids
que nul ne soupçonne
si désastreux.
Je les ai vus dans une gare, celle
de Vado peut-être, de Varazze
les aloès étranglés, pourris
eux toujours si vivaces
si enclins aux mirages
des oasis, si peu oublieux
du sang et des fibres de la
lumière,
ils étaient atroces, tordus
par une douleur qu'ils ne pouvaient
comprendre, agglutinés
en une foule mortelle, moisis et livides
comme si la putréfaction désormais
était universelle, ordonnée
par les astres.
Sur les aloès, cruelle
s'acharnait
la neige, celle qui se venge :
mais de quels torts ?
Les aloès morts à Varazze, à Vado, dans mes
souvenirs d'hiver, rêves
défaits, silencieuses victimes.
Giuseppe Conte
Les Saisons
traduit de l'italien par Jean-Baptiste Para
Les Cahiers de Royaumont, 1989
Neve sugli aloe
E' stato freddissimo : forse
da trent'anni non nevicava più
così sul Mediterraneo
Prima vennero il gelo e la galaverna.
Bruciarono, come si può bruciare senza ustioni né fiamme,
si ingrigirono, fatti friabili
e poi cavi, inconsistenti
al tatto, rattrappiti,
più immobili dei morti,
i carciofi negli orti, le buganvillee
dei parchi, i geranei.
Anche qualche muretto di sostegno
costruito in pietra viva franò.
Le pietre ruzzolarono, terricio
si sparse come farina da una ferita
del sacco.
La neve scese a lungo: per qualche ora
l'Aurelia sul Capo Berta fu chiusa.
Ci fu silenzio, come c'é le volte
che si pensa un miracolo o si attende.
Poi smise, era buio oramai, il giardino
un vasto, biancheggiante, sconosciuto
giardino,
remoto anche se pochi
scalini bastavano a raggiungerlo.
Certi alberi reggevano la neve
come se ci fossero stati abituati.
I cedri del Libano, bene
le querce, i crespi
cipressi incolonnati, gli allori
più alti, i biancospini, i nespoli
dalle foglie simili a chiglie
di gozzi.
Sopra gli altri la dondolava,
non lo so se era per lei che non voleva
o se proprio non ci riusciva
a prendere posizione:
sui rami dei pini marittimi
protesi come bracci di calendari
e aguzzi su in cima di ciuffi
interi di aghi, lì come
poteva fermarsi?
E sulle foglie delle palme
libiche, simili ai raggi
di una ruota del carro
del sole
dove poteva posarsi, quella stranierà?
Dondolava così, tra ripetuti crolli.
Sugli aloe, qui già un poco fioriti
con le loro impervie spighe rosse
volle insediarsi, premere
con il suo peso che non
si immagina sia così
rovinoso.
Li ho visti in una stazione, poteva
essere quella di Vado, di Varazze
gli aloe strozzati, marciti,
loro così sempre vividi
così sempre intenti a un miraggio
di oasi, così memori
del sangue e della carne che la
luce,
erano atroci, tanto
piegati da un dolore che non potevano
capire, aggrumati
in una ressa mortale, lividi, fracidi,
come se universale ormai fosse il marciume.
Sugli aloe si accavina, era
crudele la neve, una vendicatrice:
ma di che torti?
Aloe morti a Varazze, a Vado, nei miei
ricordi d'inverno, sogni
sconfitti, silenziose
vittime.
Giuseppe Conte
Le Stagioni