Walt Whitman l'a vu fleurir en Louisiane.
Moi en Bohême — port identique de déesse !
Vastitude pareille toute emplie de bonheur,
même joie dans ses rameaux sans nombre,
le même élan des bras, des valvules, des bouches !
L'arbre de la vie — Je me découvre devant lui
j'étends dessus mes bras comme pour le bénir.
Qu'aux premiers rayons de l'aurore il scintille,
que l'aube y consume sa gloire,
que de ses ombres la Nuit le voile !
En lui toujours ce quelque chose de vivant :
pour chaque branche morte cinq pousses se pressent,
et cent autres bourgeons pour un seul faiblissant...
Ô secret, ô énigme, ô mystère, miracle !
Tiens, vois le feuillage neuf remplacer le fané
et ainsi à jamais d'une vie éternelle !
Et dans les feuilles toujours neuves tu peux lire
la vie dont se tissent autour de toi les fils
en un mouvement où règnent l'ordre et l'harmonie !
Dans ses ombrages ils sont des milliers qui s'embrassent,
dans ses branches le chant des oiseaux n'a de cesse,
bouches et bras s'enlacent par centaines,
et des millions de voix à l'unisson entament le chant du bonheur
lorsqu'éclosent là un enfant, ici une fleur !
Walt Whitman l'a vu fleurir en Louisiane,
moi en Bohême, en lui j'ai mes racines,
ses branches sont la clé de l'hymne que je chante,
je crois en joie, Amour, Vie et Bonheur...
Ô arbre bienheureux, croîs pour l'ivresse de tous !
Jaroslav Vrchlický
Traduit par Marc Delouze
Anthologie de la poésie tchèque et slovaque
par Jacques Gaucheron
Messidor, 1987