Aussi gris maintenant qu'un vieux poteau télégraphique
En bois, je me tords, me fendille et vais devenir sourd.
Je n'entends déjà plus en moi le chant béatifique
Qui fait bourdonner le béton même, comme d'amour.
C'était la musique du vent aux longs accords sévères
Et je vibrais comme son juste et pur diapason ;
N'était-ce pas aussi parfois la musique des sphères,
La nuit sous le plectre lunaire et la démangeaison
Féroce des étoiles ? — Mais, en vérité, musique ?
Alors que tout détone, éclate, improvise son jazz
À travers la supernova, le trou noir aphasique,
L'amas nébuleux où l'amour naît d'un excès de gaz ?
Qu'ai-je donc entendu, quand j'avais une bonne oreille,
Monter dans mes fibres depuis la terre des talus ;
Quelle monotone chanson mais sincère et pareille
À celle que chuchote l'herbe et qu'on n'écoute plus ?
Arrêtez-vous quand même un peu, cons d'automobilistes
Toujours pressés, posez la main sur mon fût
Et puis une joue à l'endroit où le bois resté lisse
Tremble : voyez, si je suis sourd, je demeure à l'affût
De l'espace où mon fil souple encore qui se balance
Mesure une montagne et pèse un nuage, un oiseau.
Je vais m'enraciner à la longue dans le silence
Mais reverdir peut-être à la prochaine floraison.
Jacques Réda
L'adoption du système métrique
Gallimard, 2004