10 mars 2017 5 10 /03 /mars /2017 16:33
Le vert des palmiers de ma jeunesse

 

Les pirogues serpentaient lestes

sur les eaux sales

éloignant scories et pourriture

fleurs troncs viscères

impulsés par la peur

et par la force des bras.

 

Plus haut ! Plus haut !

Dans les eux dansait l'aventure

dans les mains crispées la terreur

dans la poitrine dansait le danger

 

Le Cuanza débordant

de menaces et de despotisme

avançait sur la terre

dans un lourd déluge de pluies torrentielles

et l'élément enfin vaincu,

les crocodiles

festoyaient dans les bergeries abandonnées.

 

Je fuyais le vert

le vert-noir des palmiers

de ma jeunesse

 

Tous les dieux de la mystique des siècles

et leurs sacrifices

sanglants ou non sanglants

le souffle métaphysique des forêts sacrées

l'inspiration sacrée des xinguilamentos

et des sorciers

sont restés noyés dans les eaux

du danger qui dansait dans ma poitrine.

 

Il restait aussi

les orgies religieuses des funérailles

les divinations merveilleuses des maléfices

l'hystérie

des cérémonies crépusculaires pour la vie

et pour l'amour

l'odeur âcre du sang

la fécondité de la terre

l'objet changé en dieu

couleurs et poussière

gouttes et fragments d'os

larmes et chansons

secrets inviolables des sectes mystérieuses

humanité et inhumanité

la poésie

et les traces spirituelles du sang.

 

Moi

je caressais innocent le doigt du danger

       

Orava:

         Tata ietu uala ku diulu

          Fukamenu!

          Lengemenu!

          O ituxi! O ituxi!

          ô paradoxe des péchés !

 

Nouveau langage !

Jamais plus d'histoires racontées à l'ombre

du mamufeira

ou à la douce lueur d'un brasier enfumé

plus de singe ou de lion

de lapin ou de tortue

 

Fuir !

Laisser les reptiles festoyer dans les bergeries abandonnées

Avec tout ce que les années ont créé

le souvenir

de l'agilité des membres et des torses

des hanches et des voix

qui dans la nuit sombre se profilaient

dans la lueur du feu

la vibration le rythme

les dentelles des cocotiers

l'odeur de la terre désherbée et mouillée

la voix des hommes

l'esprit

la grâce de l'authenticité et de la certitude

syncopées par la marimba et le quissange

et soulignées par le tambour

la saveur douce et la joie de la tradition.

 

Je fuyais

et mon âme était piétinée

dans les bergeries abandonnées.

 

Que montent des symphonies de Beethoven

et des poèmes que l'ami Mussunda ne comprend pas

 

Je fuyais

le vert-noir des palmiers

de ma jeunesse

caressant le doigt du danger

 

Les dos !

et les dos symétriques courbés sur la terre

la traitant rudement à coups de bêches

qui scintillent

et les chants rythmant l'effort

la douleur

et la polygamie des affections

les larmes visqueuses des troncs sans branches ni racines

l'anxiété solidaire dans les pirogues qui glissent

sur l'eau

et les sourires orchestrés sous les éventails des cocotiers

ou l'impossibilité de ceindre le baobab

dans une étreinte

 

Tout est resté

là-bas en Afrique

dans l'Afrique de l'Afrique.

 

Et les eaux despotiques et dévastatrices

livraient pleines les bergeries abandonnées

à la faim indécente des animaux.

 

Je fuyais

souriant et triste

souriant et vide

sans terre, ni langue ni patrie

jouant avec l'aventure

tremblant dans le tangage des fragiles pirogues

confiantes

vers une métaphysique croisée de conjoncture

l'estomac vide

et l'âme

anéantie entre des mâchoires malsaines.

 

Plus haut !

Plus haut !

 

Je portais dans mon sang la joie des espaces

l'arôme des corps sacrifiés à l'humanité

la virginité des fleurs

l'angoisse des prisons

et de l'ignorance la peur

du ciel et de la terre

des dieux et des hommes

des cadavres et des vivants

la peur des abysses et des hauteurs.

 

Je portais dans mon sang

la chaleur humaine de l'amitié

la chaleur fiévreuse des rythmes violents de la nuit

et le vert brillant des feuillages

et du regard sauvage des petits oiseaux

le bruit des torrents

la soudaineté des éclairs

la terre

et l'homme.

 

Je portais dans mon sang

l'amour :

 

Je fuyais

le vert-noir des palmiers

de ma jeunesse

caressant innocent le doigt du danger

souriant et triste

laissant mon âme piétinée dans les bergeries abandonnées

 

Et dans les cris embryonnaires des vieux mondes

tout revit

cette dramatique jeunesse de retrouvailles

tout revit dans les poitrines gonflées d'anxiété

essoufflées par la force de la vérité

et qui s'appuient sur l'impérissable.

 

Qu'il est beau

le vert des palmiers !

 

 

 

 

Agostinho Neto

Espérance sacrée

« Sagrada Esperança »

Union des Écrivains Angolais

Éditions Delroisse, 1980

      

 

 

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Bonne lecture !

Sylvie Gaté