Le 6 juillet 1983, songeant que l'été
Avait déjà 15 jours
Je cueillis une branche rousse au mélèze vert
Pour me rappeler la date de notre vie et de notre mort
Je ne regrettai ni ne pleurai :
Ni ruines, ni inquiétude en mon cœur
Simplement je cueillis cette âme aux lueurs de novembre
Dans l'arbre inconscient de l'été
Et dans mon souvenir je la nommai miroir
Jacques Chessex
comme l'os
Grasset, 1988
— Comme tu dois avoir froid,
Dit le sapin au platane,
Sous la neige de janvier !
— Non ! dit le platane,
Mes bourgeons sont prêts
Sous la blanche écorce.
— Comme tu dois avoir chaud,
Dit le platane au sapin,
Sous le soleil de juillet !
— Non ! dit le sapin,
Ma sève est au frais
Sous ma noire ombrelle.
Louis Guillaume
Au jardin de la Licorne
Delachaux et Niestlé Éditeurs, 1973
Celui qui disait moi
Ne sait plus s'il existe,
Il pourrait s'oublier
Dans la force tranquille d'un arbre,
Bien loin de l'agonie romantique des roses,
Ou s'unir loin de l'âme vieillissante
À un feu d'herbe sur les collines
juin 1991
Gaston Puel
nous marchons dans la forêt martyre
convoi de planteurs planteuses
la meilleure machinerie
celle qu'on n'entend pas
épique
indomptable
nos âmes évadées
infatigables
résistez
vous autres
au vent qui fesse
aux sécheresses
aux débroussailleuses
aux feux aux neiges au froid record
survivez
vous autres
belles grandes fouettes
milliers de nouveaux départs
épinettes blanches rouges et noires
pousse
toi mon bois
dévasté
repousse
toi ma peau
déchirée
il faut être junkie d'espoir
pour refaire la forêt
ne pas perdre le moral
à la voir qui recule
et recule encore
Gabrielle Filteau-Chiba
La forêt barbelée
2024
Les séquoias
Quand j'ai marché dans l'allée des séquoias
J'ai respiré en entier pour une fois
Et envoyé deux mille prières au vent
Pour nous sauver de toutes les peines d'avant
Avant la rivière asséchée
Avant que tout soit emporté
Je veux retourner dans l'allée
Entendre les séquoias chanter
Ahah ahahahah ahah ahahahah
Ahah ahahahah ahah ahahahah
Apprivoiser le silence les faiblesses de ma voix
Et habiter mon propre corps pour la première fois
J'ai bien gardé tous les secrets du vent
Entremêlé la sève épaisse et mon sang
Avant les arbres assassinés
Avant que tout soit emporté
Je veux retourner dans l'allée
Entendre les séquoias pleurer
Mmm mmmm ahah ahahahah
Ahah ahahahah ahah ahahahah
Quand j'ai marché dans l'allée des séquoias
J'ai respiré en entier pour une fois
Pomme
2019
J'écoutais ce que dit le monde
en regardant l'ombre des feuilles
qu'un rayon blanc mettait au mur
Un rayon de soleil tout blanc
L'ombre des feuilles s'agitait
et disait des mots de poisson
derrière la forme des vitres
J'aimais sa chanson de poisson
L'après-midi s'agrandissait
dans l'avenue pleine de pluie
L'ombre des feuilles s'effaçait
mais sa chanson durait encore
douce comme la voix d'une ombre
Jean-Pierre Colombi
Revue Poésie 1
n°14, juin 1998
Le cherche midi éditeur
Pas de bagages
Pas de bruits
Il part en voyage
Il s'évade la nuit
Il y a de l'encre sur les paysages
Sa présence passant à reculons
Parfois au milieu d'un précipice
Jette l'ancre
Bernard Deson
Vagabondages n°25
Nov/Déc 1980
à Jacques Lacarrière
L'arbre essaie de rejoindre le bruit de ses feuilles
mais le vent va plus vite que les paroles d'arbre
emportant leur bruissement bien loin de la forêt
Vent coureur du ciel vent à perdre haleine
entends-tu chuchoter le chêne enraciné
vent maraudeur de feuilles vent long-coureur de plaine
vent qui n'entends jamais le vent ?
Paris Mercredi 20 mai 1987 |
Claude Roy
Le noir de l'aube
Gallimard, 1990