18 octobre 2024 5 18 /10 /octobre /2024 07:26

 

Le vieux noyer du jardin est tombé ; il est mort. Il est mort du coup violent que lui a porté, hier, la hache du jardinier cruel. L'arbre ne dresse plus près des hauts murs de l'Université son tronc rigide ; et le jardin triste s'afflige d'avoir vu tomber le vieux noyer.

 

Depuis si longtemps, depuis un siècle peut-être, il surgissait, droit et ferme, de l'étroite plate-bande qui longe le carré potager. Il ombrageait encore de ses feuilles tardives et rares les fleurs vives, les groseilliers abondants, les sillons parallèles où poussent de plantureux légumes. Au bord de l'allée académique qui a vu presque chaque automne disparaître quelqu'un de ses vieux arbres, au bord de l'allée maintenant veuve et nue, il restait seul, solide encore comme une colonne rugueuse dont le chapiteau parasol se couvrait de vivant feuillage. Et il voyait avec tendresse grandir au jardin les jeunes peupliers, les marronniers courts dont la grâce nouvelle devait remplacer sa chétive vieillesse. Mais il est tombé avant que ces adolescents aient pu porter jusqu'à son front l'orgueil de leur ramure. L'ombre qu'il faisait sur les violettes et sur les roses ne sera pas remplacée.

 

 

Il faut dire qu'il manquait de sève, le vieux noyer ; il ne pouvait plus nourrir tous ses rameaux. Pendant la saison dernière, il avait tristement tendu vers le ciel une branche robuste et desséchée. Ce geste stérile lui a été funeste. Au lieu de retrancher le membre paralytique, c'est tout l'arbre qu'a frappé la hache meurtrière. Et le vieux noyer est tombé ; il s'est allongé comme un cadavre sur la terre nue et sombre ; la cime de l'arbre s'est brisée contre le sol ; elle a rompu et couvert de ses débris les tiges frêles et vertes des beaux lys qu'elle avait si doucement protégés. La force qui croule ne peut plus que détruire. Et les jeunes peupliers et les marronniers courts se sont étonnés l'autre midi de ne voir plus au-dessus de leurs frondaisons jaunissantes le maigre panache du vieux noyer.

 

 

***

 

Il était le doyen des arbres dans ce jardin ecclésiastique. Et il rejoignait par-dessus les jeunes ramures, à l'autre extrémité du jardin, le vieux tilleul du jeu de paume. Tous les deux, en leurs places symétriques, symbolisaient les jours anciens. Le vieux noyer était un être nécessaire dans cet ordre établi. En attendant que les arbres petits eussent pris de l'âge et longuement poussé vers le ciel, il maintenait au jardin cet équilibre des choses qui est une loi de l'harmonie. Les vieux arbres sont si beaux quand ils encadrent d'une majesté vénérable les ramures neuves où monte la vie légère. Et c'est pourquoi les forêts retiennent si longtemps leurs patriarches. Demandez à celle de Fontainebleau si elle laisserait périr Pharmond ?... L'eurythmie du paysage est maintenant brisée. Le vieux noyer perclus avait perdu ses grâces élégantes, et l'esthétique s'est brusquement vengée. Et le tilleul ancien, penché sur l'aile grise du jeu de paume, regrettera longtemps son frère disparu...

 

 

***

 

De ma fenêtre j'aimais à voir le vieux noyer. Tant de saisons laborieuses s'étaient imprimées sur son écorce, qu'il me faisait songer au passé lointain, à tous ceux-là qui nous ont précédés au jardin studieux. Et puis il entrecroisait sur l'horizon bleu qui couronne la falaise de Bienville ses gros rameaux noirs. C'est à travers ses feuilles vertes et rares que, pendant l'été, je voyais resplendir sous le soleil un morceau du grand fleuve ; et quant aux dernières heures du soir, dans la nuit qui commence, la lune surgissait au-dessus des coteaux de Lévis, et traçait sur les flots sombres son sillon d'argent liquide, c'est encore à travers les gestes anguleux de l'arbre endormi que je contemplais ce spectacle de douce lumière.

 

De bonne heure, en septembre, je voyais l'arbre fatigué se dépouiller lentement de sa chevelure mobile, puis laisser tomber bientôt dans les sillons, pour des mains avides, ses noix délicieuses et veloutées. Ses dernières feuilles caduques s'en allaient éperdues au vent frileux de l'automne, ou bien elles descendaient en grâces tournoyantes dans les allées droites, sur les gazons frais.

 

Volontiers les moineaux du jardin s'assemblaient dans ses branches hospitalières. Ils tenaient là, avant de partir pour la récolte des blés ou des avoines, leurs conciliabules piailleurs et gourmands. Quand ils reviendront cette année, à la Toussaint ou aux premières neiges, ils ne retrouveront plus leur vieux perchoir, les tribunes aériennes d'où retentissaient leurs aigres discours...

 

Combien d'arbres l'automne a vus mourir, et qui ont laissé s'en aller pour jamais, au vent frileux, leur dernière parure ! Les paysages désolés portent le double deuil de leurs rameaux desséchés et de leur présence abolie...

 

Depuis que sur le long pan de l'Université ne se projette plus la silhouette chenue du vieux noyer, il manque quelque chose au jardin. Il s'est fait au-dessus de l'allée où régnait l'arbre ancien un grand trou de lumière, que l'imagination et les souvenirs emplissent de leurs regrets. De ma fenêtre où frappe le pâle soleil d'automne, je vois mieux le grand morceau de fleuve gris et les falaises inclinées de Bienville ; mais je cherche dans le champ des visions familières les gestes accoutumés du vieil arbre qu'a fait tomber, hier, la hache du jardinier cruel.

 

 

 

 

Camille Roy

Bulletin de la Société du Parler français au Canada

Sept. 1917 — Sept. 1918

Université Laval, Québec

 

 

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Sylvie Gaté