Là-haut, sur la colline à tous les vents ouverte,
Enfoui sous la neige et grelottant de froid,
Le pin majestueux, fier de sa robe verte,
Comme un spectre glacé se dresse immense et droit.
Il regarde, stoïque, au milieu des épreuves,
L'hiver qui s'achemine, armé d'un long bâton,
L'hiver qui sur un ours franchit le lit des fleuves,
L'hiver transi, vêtu de sept peaux de mouton.
Il se secoue et dit : « De tes âpres domaines,
» C'est en vain que tu sors dans ce triste appareil,
» Ô sorcier malfaisant ! et que tu nous ramènes
» Tes tourbillons de neige et tes jours sans soleil !
» C'est en vain que semant la terreur dans le monde
» Tu détruis les moissons, les ruches et les fleurs,
» Nous envoyant la mort avec le vent qui gronde,
» La faim épouvantable avec les loups hurleurs !
» C'est en vain, mécréant ! que ton souffle de glace
» Gèle les eaux du fleuve et répand des frissons,
» Qu'il fait des verts sentiers disparaître la trace
» Et recouvre mon front d'un dôme de glaçons.
» C'est en vain que l'on voit, au sein de tes tempêtes,
» Voler les noirs corbeaux affamés, croassants;
» Que du fond des forêts où s'abritent les bêtes,
» Tu fais sortir, la nuit, des hurlements perçants ;
» C'est en vain, ô bourreau sans cœur, que tu prolonges
» Des tristes nuits sans fin le lamentable cours,
» Et qu'insensible aux maux cruels où tu nous plonges,
» Tu raccourcis l'éclat éphémère des jours.
» C'est en vain que tu fais ployer mes vastes branches
» Sous les flocons épais dont je suis recouvert :
» Aux rayons du soleil, et par les neiges blanches,
» En hiver, en été, je reste toujours vert. »
Vasile Alecsandri
Pastels : poésies roumaines
traduites en vers français par Georges Bengesco
P. Lacomblez (Bruxelles), 1902