De la pointe de sa plus haute branche, un peuplier m'a dit qu'il se pencherait un jour vers moi et caresserait mon front de ses rameaux assouplis pour la circonstance. Si droit en ses affirmations que ce seigneur paraisse, l'impeccable alignement de ses ramures prouve qu'il ment ou se fourvoie. L'orgueilleux ne brisera pour personne sa trajectoire vers le ciel et ne nous parlera jamais que du bout des feuilles, quand le vent voudra bien l'y pousser. Mais quelle que soit leur hauteur ou leur humilité, les arbres désirent tous nous confier quelque chose qui les dépasse et les trouble. Depuis le temps (bon Dieu de bon sang et de bonne sève !) qu'on les voit frémir, murmurer, se tordre ou agiter affectueusement leurs pattes feuillues ! De tous les « vivants-non-hommes », ce sont eux que je préfère, que je veux délivrer de leurs chaînes de racines, tout en leur conservant leur demeure terrienne tapissée d'humus et de mousse. Ne pourrait-on laisser un peu de jeu à la base du tronc afin qu'ils puissent claudiquer sur place et se réchauffer ? Ils ont une si belle figure, à l'automne, quand le givre rosit leurs joues rouges. Ou bien les soirs d'hiver quand, noir sur orange (rameaux dévêtus sur ciel à lambeaux de couchant), on les voit peu à peu se blottir dans l'ombre où la lune leur adresse un quotidien « bonne nuit ». Regards de l'astre, des fenêtres, des réverbères et de mon cœur en œil-de-bœuf, tant d'amour auquel vous ne semblez pas céder, présences immuables ! Ni pour nous tendre vos bourgeons, ni pour vous rapprocher de nous à pas de pied unique, mais puissant. Un jour, vous viendrez à moi. Vous entrerez par la croisée ouverte. Toi, frêne, avec tes balais de feuillage, toi, tilleul, qui nous étourdis de tes cris parfumés et toi, cèdre du Liban, sans outrecuidance aucune en dépit de tes panaches et de ta superbe. Et même toi, peuplier d'Italie, menteur ganté de soleil argenté, dont l'une des mains finira bien par s'étendre sur la page où je te bénis d'exister. Car j'ai mille ans de vie commune avec vous, merveilles de nids et de vert langage, mille an de dialogues et de prières qui nous marient en mélangeant nos haleines. Ils nous emporteront d'un seul élan d'hommes-arbres et nous élèveront un jour au rythme des tempêtes vers le Grand Oiseleur qui nous attend. |
Jeanine Moulin
Les yeux de la tête
et autres récits
le cherche midi éditeur, 1988