Légende canadienne
Sur la grande montagne aux ombres solitaires,
Un jour il avait fui, comme fuit le chasseur ;
Son œil était de feu, comme l’œil de ses pères ;
Mais son orbe roulait avec plus de fureur !
Où guide-t-il ses pas ? Quelle rage l’anime ?
Le bronze de son front paraît étinceler !
Est-ce un sombre guerrier, ou bien une victime
Qu’aux mânes de son père il brûle d’immoler ?
Il est là près du chêne ; une hache sanglante
Soutient ses larges bras l’un dans l’autre enlacés ;
On dit qu’il se calma, que sa lèvre tremblante
Laissa même échapper ces mots qu’il a tracés :
« Chêne de la grande colline,
« Pourtant je te l’apporte : à mon heure dernière,
« Si tu vois l’orignal au pied toujours rapide
« Quand de sa pesante massue
* Dieu de la vengeance.
« Chêne de la grande colline, |
On dit qu’ayant chanté d’une voix bien sonore,
Le vieillard s’arrêta pour essuyer ses yeux,
Que ses larmes coulaient comme il en coule encore
Quand on perd un bonheur qui n’a pu rendre heureux !
On dit même qu’après, sur la grande montagne,
L’ombre du vieux guerrier apparut bien souvent,
Qu’on entendit gémir, la nuit, au bruit du vent,
Comme une voix de mort qu’une lyre accompagne !
Joseph Lenoir-Rolland
Poésies complètes
Vertiges/Jean Yves Collette éditeur, 2023