Le vieux chêne fendu en deux par un éclair
un soir à l'heure du dîner
calciné sans avoir pris feu
littéralement ouvert — éventré j'avais envie d'écrire bien
que les arbres n'aient pas de ventre — par la foudre
j'étais enfant
j'étais à quelques mètres
et je sais que je n'ai pas eu peur
ce fut d'une beauté fascinante
la photo a été prise le lendemain alors que les adultes
parlaient d'abattre le chêne avant qu'il ne s'effondre
sur le toit d'une maison ou la tête d'un passant
en moi j'ai gardé cette brusque explosion de lumière
ce scintillement blanc argent
et cet assourdissant déchirement de l'air
jamais je n'ai eu peur de l'orage
et je ne manque pas de contempler les éclairs à chaque
fois qu'il s'en produit un
sauf si je dors paisiblement
hier longtemps le vent a soufflé et le tonnerre grondé
ce matin le ciel est rayé de lambeaux violents
seul je bois un café dans le jardin
les pieds mouillés de pluies
je pense qu'un autre enfant aurait pu développer à vie
la phobie des orages
de voir la foudre écarteler un arbre
les mêmes scènes nous impressionnent différemment
et je me demande
moi
où se situent mes faiblesses.
Éric Pessan
Photos de famille
L’œil ébloui, 2020