Il y a un arbre
le dernier
un arbre qui n’est pas bêtement planté
sur le haut d’une colline
on ne le voit pas de loin
il faut marcher longtemps
si on veut l’atteindre
mais qui veut ça marcher
et comme on n’a jamais vu d’arbres
il se peut qu’on croie l’avoir trouvé
dans un antique élément de décor urbain
un pylône électrique
ou se sont emmêlés des lambeaux de tissus
de vêtements humains
on se gausse d’avoir déniché l’arbre
sans trop d’allées venues
on admire son envergure
et on s’assoit dessous
comme roi ou reine sur trône à sa mesure
il n’y a plus personne
pour dire notre méprise
on est le dernier à connaître ce mot
ARBRE
à l’avoir entendu
d’une bouche ancienne
à cette heure évidemment tue
on prononce le mot à voix haute
pour qu’il se sache reconnu
mais plus que tout démasqué
le vent agitant les bouts d’étoffes piégées
ça nous va comme discours d’allégeance
et on attend
on attend
on attend qu’il tombe des fruits de l’arbre
il y a un arbre
le dernier
un arbre qui se déplace
à rebours des saisons de guerre
un arbre-animal
avec ses racines plantées
dans le haut de son crâne
qui baignent dans le souvenir
de la demeure sans danger
Gabrielle Segal