Avant l'invention du papier qui décima des forêts entières, on écrivait parfois sur le liber du tilleul. Les mots sans doute semblaient plus doux, clairs comme les grappes que la grand-mère répand sur une toile dans le salon.
Frisé de mousses et de lichens, le rouvre taillé pour des siècles donne des coups de coude dans le ciel.
Il attend que passe un Noël et fait le mort tout un hiver. La neige chenue couvre ses épaules. Des aiguilles de glace pendent à ses mains gélives. Il a fermé les portes et les volets de liège, calfeutré ses bourgeons. Il s'est endormi, un écureuil et deux hiboux sur le cœur.
L'arbre est la colonne vertébrale du dieu. La foudre le baptise.
Avant d'abattre un arbre, les Somoris appliquent une échelle contre son tronc afin de permettre aux esprits qui l'habitent d'en descendre. D'autres peuplades ne défrichent jamais une forêt sans bâtir tout d'abord une maison où l'on dépose de la nourriture, des vêtements et des bijoux : ce sera le refuge des esprits du bois.
Il y a, au pied de l'arbre, une petite église de feuilles tombées, de gazon gras et de fruits morts.
Les cyprès et les ifs veillent sur le cimetière. Le rideau noir retombe derrière l'enterrement. Les aiguilles ne pleurent pas ; ce sont les insignes froids de l'éternité.
La forêt au loin est une armée de hallebardes.
À mesure que l'arbre croît, la vie se retire de son cœur qui se duraminise. Elle se réfugie sous l'écorce, dans la couronne claire de l'aubier.
L'énorme poumon du feuillage accélère brusquement sa respiration lorsque l'arbre est blessé.
Dans les profondes forêts de la mer, les oiseaux se perdent et ne chantent pas. Les dormeurs châtrent avec leurs pinces des laminaires géants cramponnés sur le fond rocheux. De grands loups argentés sont en chasse. Ici, la vie tient à un fil. Les épaves, dont les poulies ne grincent plus, sont habitées de fantômes taciturnes aux yeux de vase.
L'arbre de Noël est un univers. On éteint la lampe : les bougies sont des astres. Les guirlandes colorées préfigurent au cœur de l'hiver la floraison future.
Pauvre sapin ridicule, orné, poudré comme une cocotte. Dieu estropié des petits enfants.
Silencieux, taciturne, toujours debout au-dessus de toi, tu as la charge du silence, les oiseaux ont celle de ta voix. Par toi je reviens au poème. |
Jean-Michel Maulpoix
Émondes
Fata Morgana, 1986