Le Grand Arbre qui connaît tous les jurons du ciel
dort comme un paquebot sur une carte postale
avec de l'outremer à noyer les coursives.
Il dort et la mémoire habite son sommeil
de vieil aventurier au bout de ses fringales
ayant posé son sac au sec des eaux vives.
Les temps sont bien finis des rudes canonnades
qui chahutaient les sèves de ses premiers printemps.
Le Grand Condé est mort et Monsieur de Turenne
qui parlait à la poudre la langue des ruades,
compagnon de fortune, carcasse souterraine,
chevauche à son côté en poussière d'ossements.
Le Grand Arbre se souvient ... d'un petit homme pressé
qui fit dix fois le tour de son tronc centenaire
en gravant des batailles avec une lame corse,
et d'une dame d'honneur, vivement culbutée,
avec son ombrelle pour tout paratonnerre
d'une fragile vertu encastrée dans l'écorce.
Il somnole au midi tel Tour de Babel
roussie au dernier poil à l'humeur du soleil
dans sa plus grande gloire inconnue des manuels !
Celle d'avoir fourni les bois de la cambuse,
ultime sauvegarde, infime potentiel,
pour les quinze survivants du radeau de Méduse.
Lors depuis, vénérable, ayant pris ses quartiers
d'hiver et de repos avant les xylophages,
Il teste devant notaire ses désirs posthumes,
afin que de son cœur, Joseph le menuisier
fasse mât de cocagne pour les hôtes de plumes
et cercueils de vacance pour les vagabonds d'âge.
Le Grand Arbre est heureux. Le plumier refermé
sur l'encre de donation du dernier paragraphe,
Il s'endort derechef pour son éternité
racines vers le ciel pour ultime épitaphe.
8 juin 1977
Michel Diot
Œuvre poétique 1
2002