Je te donne pour convives
les pèlerins de l’hiver
ceux qui ne dorment ni ne veillent,
assoupis cependant, et veilleurs
les plus âpres dans leur emmurement,
la moitié du visage
constamment dérobée, et l’autre face
brûlante comme le fer,
et se forgeant sans cesse la ressemblance :
ton père, ou toi-même,
et cette division.
Mange avec eux. Mange leurs givres,
et la haine,
l’enfer.
Et donne à leurs rêves, si tu le peux,
le goût des oranges
ou celui des raisins
— selon qu’il te plaît
ou selon que demeure fertile ta nostalgie.
Mais prends garde :
leurs yeux, à l’instant où tu nommes les fruits
les dépouillent
et ce n’est plus la pulpe qu’ils rêvent
c’est encore l’arbre
et sa racine en dessous
plantée dans leur oubli
et morte au bord de leur désir.
Et si tu dis l’écorce, qui est un peu plus haut,
et telle qu’elle était fraîche autour des fûts tombés
et rouge sous la hache
comme la sueur des hommes,
ils te diront que l’arbre est abattu,
cessant de les nourrir
dans leur fureur de croître,
et que dès lors, sa patience
est semblable à la leur :
dépouillée pour la flamme,
défaite pour la peur.
Monique Laedarach
Poésie complète
L’Âge d’Homme, 2003