Il n'a pas neigé. Et c'est étrange
Les esprits des hommes qui s'agitent,
Sur la terre ploie un arbre arctique,
Il a senti l'odeur de l'hiver.
Il a saisi la terre à pleines mains
Et cherche une goutte de chaleur au moins.
Dans la pierre froide pénètre
Son aiguille presque sans vie.
Ses ailes vertes sont retombées,
Sa racine s'enfonce d'un verchok* à peine !...
Et d'un ciel d'argent et de poussière
Est venue la première neige.
Dans un timide effort
Il va s'étendre sous la neige
Et pierre et vie sans mouvement
N'osera pas trembler.
Si tu allumes un feu de bois
Mort tu chasses aussitôt le froid
Et trahi par le mensonge du feu
Il se dresse de toute sa taille.
Ayant reconnu la tromperie
Il pleure alors au-dessus des braises
Qui brillent dans une brume blanche
La brume de la froide forêt.
Ses larmes une fois répandues
Dans l'infinie blancheur de la terre,
De nouveau terrassé par le gel
Il rampe jusqu'au printemps.
La terre sous le signe de l'hiver,
Tandis que la glace luit et rayonne,
L'arbre rajeuni et devenu vert
De dessous la neige se lèvera.
Et ses mains noires et crasseuses
Il les tend vers le ciel — là-bas
Où il n'y a chagrin ni supplice,
Où n'est plus la féroce banquise.
Il bruit dans son vêtement d'émeraude
Au-dessus d'une blanche terre vide,
Et l'espoir des hommes grandit
À la rencontre du printemps.
* Verchok : vieille mesure russe (4,4 cm)
Varlam Chalamov
Cahiers de la Kolyma
et autres poèmes traduits du russe
par Christian Mouze
Maurice Nadeau, 1991