Sur la route reste un arbre
Il reste ployé
Et tous les oiseaux de l'arbre
Se sont égaillés.
Trois vers l'ouest et trois vers l'est
Et le reste au sud
Laissant l'arbre à la tempête
À la solitude.
Je dis à ma mère : Écoute
Si tu n'y fais rien,
Ni une ni deux, ma mère,
Oiseau je deviens !
Je veux m'asseoir sur cet arbre
Je le bercerai,
L'hiver de belles complaintes
Le consolerai.
Mère dit : Nenni, mon fils !
Et ses pleurs ruissellent,
Tu pourrais, hélas, sur l'arbre
Prendre froid mortel !
Je dis : Mère, c'est dommage
Pour tes yeux si beaux.
Et avant qu'on s'en avise
Je suis un oiseau.
Geint la mère : Itsik, mon âme,
Au nom de Dieu, tiens,
Prends au moins ce petit châle
Et couvre-t'en bien,
Emporte avec toi tes bottes
Rude, l'hiver vient,
Mets ton bonnet de fourrure
Quel malheur est mien !
Emporte aussi ton chandail
Et mets-le, vaurien,
Si tu ne veux pas être l'hôte
De tous les défunts !
Qu'il est dur lever mes ailes,
Trop de choses, trop
Tu mis sur le corps, ma mère,
Du fragile oiseau.
Et tristement je regarde
En ses yeux si beaux,
Son amour m'empêche
De devenir oiseau.
Itsik Manguer
Texte traduit du yiddish par Charles Dobzynski
Le Miroir d'un peuple
Seuil, 1971