Ce qu'avait transpiré ce bois,
Ce qu'avait mûri son attente,
Ce qui bougeait, chanson liquide
Dans l'ombre où le sang est plus chaud
Avec l'âme étrange des rives
Où traîne un sommeil de héron.
Ce qui va vers l'espoir du ciel
Route sans croix des aventures,
La forêt qui ronfle à midi,
La forêt capturant sa vierge.
La barque eut beau crier ce crime
L'air libellule est innocent,
Donnez un livre, je le jure !
Cela fait des siècles, Seigneurs,
Que la fille avait fait son pas
Vers la forêt dans la poussière,
Et les roseaux croyaient au sang
Pendant que nous rompions nos pains,
Et les verdiers criaient sa chute
Pendant que nous faisions nos lits,
Et la lune affichait son heure
Pendant que nous frottions nos yeux.
La fille est morte, Dieu la pèse,
Un nénuphar entre les seins,
Avec la boue elle ira loin,
Ella a moins de péchés qu'on chante
Ella a de quoi rire et danser
Sous les palmiers du paradis,
Et garde un pied dans nos chimères
Dans le nid des ramiers rêveurs.
L'aube est lourde comme un pavé
Le vent noir fait son tour de branche
Fusil au cœur, quel enthousiasme !
Vous qui voyez passer des filles,
Allez au bois, tirez les sèves,
Tendez la vieille peur des hommes,
Le manteau des yeux refroidis ;
Quand vous verrez passer des filles,
Vous écrirez de votre sang
Des pardons sur l'arbre et la pierre.
Charles Bourgeois
Le paysan mort
L'arbre à paroles, 1998