Nos hivers demeurent
un peu trop longtemps :
tous nos oiseaux meurent
avant le printemps.
Pleurent les cors de chasse,
la bise de janvier —
après les saints de glace
le ru coule au gravier.
Tout mon espace vibre
sous la neige ténue
qui me prend fibre à fibre
et dissèque ma force.
Hiver, mon héritier,
je te rends mon écorce :
déjà le ciel entier
dans mes bras s'insinue,
sous mes vieux nids d'oiseaux
fore une aube inconnue
qui comme les termites
efface mes réseaux.
Farine de bois blet
où les fourmis s'agitent,
sous la griffe du temps
mon aubier se défait.
Pourvu que ce printemps
passe sans trop de peine :
ma ramure malsaine
craint la grêle et le vent.
Embrase les étangs
et monte au lieu de sève
Rose des pourritures
qui couronne ma souche !
Le dégoût du vivant
tellement me soulève
que l'élirai ma couche
entre les moisissures.
Ce n'est rien de crouler
si l'on s'affaisse en douce
et si l'on peut rouler
sur le dos sans secousse.
Pleurent les cors de chasse,
meure le sanglier —
à la fonte des glaces
demeure le charnier.
Claude Vigée
Mon heure sur la terre
Poésies complètes 1936-2008
Gallaade Éditions, 2008