Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. |
A. DE MUSSET.
Par un rayon de lune au fond des cimetières,
Les saules pâlissants, les cyprès dépouillés
Semblent des spectres noirs au bord des larges pierres
Dans l'ombre agenouillés.
Depuis quand sont-ils là ? Nul ne saurait le dire ;
Au chevet des cercueils immobiles veilleurs,
Comme il fit dans les prés les roses pour sourire,
Dieu les fit pour les pleurs.
Combien de pauvres morts allongés sous les dalles
N'ont jamais entendu d'autres gémissements
Que les brusques soupirs des lointaines rafales
Dans ces rameaux dormants !
Combien n'ont eu de pleurs sur leurs cendres glacées
Que la rosée errante au long du bourgeon vert,
Ni d'autres souvenirs que les feuilles froissées
Sous le pied de l'hiver !
Honte au monde où tout rit ; honte au monde où tout passe ;
L'âme y jette ses deuils plus vite que le corps !
Les arbres attristés y prennent notre place
Pour penser à nos morts.
Qui de nous a souci de l'épaisse poussière
Que jettent sous les pieds les squelettes jaloux ?
Chacun pourtant voudra qu'on aille sur sa bière
Gémir à deux genoux,
Pleurez, saules, pleurez ! Quand l'ouragan s'allume,
Si les pâles dormeurs allaient se réveiller,
Qu'ils ne se croient pas seuls, qu'ils sentent dans la brume
Près d'eux quelqu'un prier.
Les fils chantent : pleurez ! Les veuves oublieuses
Valsent en chuchotant sous les lustres dorés,
L'amour prend tout le cœur de leurs filles joyeuses,
Pleurez, cyprès, pleurez !
Georges Lafenestre
Les espérances
J. Tardieu, 1864