Deux arbustes sur le front de mer. Des pins, sans doute. Malingres depuis toujours. Je les admire, je leur rends visite. À force de les voir, je ne sais plus s'ils ont encore une couleur, une forme. J'en parlerai demain, avec des mots faits pour mes plantes domestiques, mes arbres-chats. Ils sont debout, mais sans grandir sinon par les racines. Branches à rebours, ils creusent le sable, pour aller chercher quoi ? J'ai fouillé avec eux, les mains rageuses vers l'humide. De la poudre, des cristaux de sel. On dirait qu'ils sont morts avant de naître. Ils durent. Ils craquent seulement un peu sous les gifles verticales qui basculent du ciel, qui les blessent à peine. C'est une allégorie, peut-être, la certitude en dépit de la petitesse. Une moralité du paysage pour ne plus souffrir. Je n'ai pas grand-chose, vraiment, à attendre de ces arbres. Dans mon jardin, tout me regarde, tout me rassure. Eux restent, plantés là, à provoquer pour rien, et même leur odeur, en plein été, a des relents de bête, qui me chassent. N'importe. Je reviens à eux, je les entoure de prévenances. Je choisis les mots les plus courtois de la langue et je les donne à deux malotrus. Aucun refuge, nulle paix, l'immensité de l'air sans autre signe repérable que la figure d'un oiseau, furtive, sur le vent gris. |
Claude Esteban
Le jour à peine écrit
Gallimard, 2006