Peu à peu l'arbre aimé grandit
et la cime qui fut voisine des yeux
les dépasse et s'éloigne de notre temps.
Pure évidence d'écorce, ténébreux
le règne de la sève, l'obscurité de l'origine,
le lieu secret de la soif, de la montée
vers la lumière. Et jamais plus ne m'appartiendra
ce vertige, l'arbre enfant qui se reflétait
dans les yeux de l'enfant, ma pensée maintenant
imagine sa paix que ne troublent plus des yeux sub-
lunaires,
lui solitaire dans ses feuillages et dans sa miraculeuse
ascension vers l'azur. Ainsi sous la dure
écorce impénétrable aux yeux, vif encore
seulement dans un souvenir lointain sans souvenir,
il remonte le fleuve aimé qui ne me reflète pas,
d'autres fleuves ainsi passent par des lits connus
vers le delta d'eaux vertes, jusqu'au territoire paternel
de la mer que strient les vents, que j'aimai, qui me
baigna
et me déposa entre ces cimes
désormais inaccessibles, et la furieuse,
l'inconnue, la déchirante origine.
Roberto Mussapi
Le voyage de midi
suivi de Voix du fond de la nuit
Traduit de l'italien par Jean-Yves Masson
Gallimard, 1999