On n'aura pas osé couper le cerisier lorsqu'on a bâti le mur encerclant la fabrique : on l'aura laissé, serré par le béton, et menaçant de le rompre, menacé de croître d'un seul côté sans harmonie. Il se déploie ici pour qui le découvre comme l'épanouissement insolite, au printemps surtout lorsqu'il est en fleur dans ce lieu de houille, de formes sévères et géométriques - rectangles et cheminées d'usine - comme l'air rassemblé en fleurs quand tout œuvre autour à l'asphyxie. Mais quel est-il pour ces hommes qui chaque matin pénètrent dans l'enceinte jusqu'à la nuit et, comme si c'était depuis toujours, travaillent la matière lourde, les couleurs ternes, le bruit - qu'est donc cet arbre dans le site de l'usine ? Rien sans doute qui les préoccupe ni même qu'ils aperçoivent, si ce n'est au hasard. Mais si le hasard venait à faillir et le cerisier ne plus surgir au détour d'un regard ? Ils verraient dans l'arbre l'espoir, désormais absent. |
Judith Chavanne
Entre le silence et l'arbre
Gallimard