Les saules têtards montent la garde à la frontière ouest du jardin. La belle saison va leur rendre leur camouflage de verdure argentée. Ils n'ont pas une forme naturelle. C'est l'homme qui les forme, l'homme qui leur donne une tête, une grosse tête pleine de bosses. Dans la terre, ils n'étaient d'abord qu'une simple brindille, une branche flexible, un scion taillé chaque année. Le saule s'obstine à repousser, à cicatriser. Le caractère se forme. La tête enfle pour porter le chandelier de feuilles dans le ciel de juin. Tout est bon chez lui. Le saule, le cochon du jardin. Feuilles compostées. Rameaux, tipis des haricots et des petits pois. Vieux saule devenu terreau, il nourrit les géraniums. Mais le saule adulte se redresse à hauteur d'homme. Le jardinier lui caresse très doucement sa grosse tête. Le saule vit. Le saule résiste. Ses feuilles luisent comme des épinoches parmi les étoiles. |
Lucien et Josiane Suel
Visions d'un jardin ordinaire
Editions du Marais du Livre
Photo : Josiane Suel