Mon érable sans feuille, érable au dos de glace,
Que fais-tu là, vouté, sous la blanche bourrasque ?
Que viens-tu donc de voir ? Que viens-tu d'écouter ?
Tu m'as l'air d'être allé courir bien loin des haies.
Et, comme un gardien saoul, glissant hors de la route,
Tu t'es pris dans un trou laissant geler ta patte.
Hélas ! moi-même aussi je ne vais plus très ferme.
J'ai trop bu pour savoir retourner à ma ferme.
Vers moi s'avance un saule, je viens de voir un pin ;
Sous la bourrasque blanche je leur chante juin.
Moi-même il m'a semblé que j'étais cet érable,
Seulement jeune encore, avec tout mon feuillage ;
Et, perdant ma pudeur, devenu bois sauvage,
Pour lui faire l'amour j'ai pressé ses branchages.
1925.
Serge Essénine
Traduction d'Armand Robin
Ecrits oubliés II
Editions Ubacs