Un visage naissait du vert. Était-ce bien du vert ? Dans l'épaisseur ouatée de la pâte, quelques larmes bleuissantes pouvaient en faire douter.
Un visage naissait du vert, s'arrangeant avec du bleu, en raison de la vulnérabilité des apparences. Les pinceaux balayaient la toile, y creusaient des sillons hâtifs où, parfois, un blanc passager trouvait en tremblant un refuge.
Un visage naissait du vert, du poids douloureux de quelques bleus cachés, de la danse hésitante d'un blanc crémeux. Déja un regard s'apprêtait à vivre, un peu de bleu accueillait l'intention. Un pinceau aux véhémences rouges réveillait le souvenir d'une joue, s'appuyait sur l'ombre noire d'une chevelure, appelait en glissant le mouvement d'un livre.
Dans cette nuance de précision contrariée le regard interrogeait le modèle, en espérant se reconnaître dans ses doutes.
Des bourgeonnements de pâte répétaient çà et là des rythmes tachycardiques, lointains échos d'une vie secrète qu'habituellement le miroir annule.
Un visage était né du vert et, avec lui, quelque chose d'autre que les paupières baissées du modèle ne pouvaient plus dissimuler.
Lindström
À un rythme saccadé, des pinceaux pendaient l'espace pour perdre sur un tamis leur surcharge crémeuse. Le modèle y voyait des restes de visage, des fragments de derme ; une matière confuse née de l'inerte et, cependant nourrie du sang de la peinture.
Le visage, né du vert, s'appuyait maintenant de biais sur une plage de vert qui le prolongeait ; sur un tumulus rouge qui l'invitait à oublier la sérénité.
Le visage avait choisi l'asymétrie.
Il avouait que le monde était instable, que ses lois étaient prévisibles.
Parfois, entre les mouvements rapides du pinceau, il pensait à la forêt, se souvenant principalement de l'ombre que les feuilles en bougeant y organisent.
La forêt lui était familière. Il était né du vert. |
Anne Tronche
Revue Artère n°20, 1985