à M. A. G.
Très noble Hêtre, tout l'été,
Qui retins la splendeur esclave,
Voici ton supplice apprêté
Par un ciel froidement suave.
Cent fois rappelé des corbeaux,
L'hiver te flagelle et t'écorche ;
Au vent qui souffle des tombeaux
Les flammes tombent de ta torche !
Ton front, qui cachait l'infini,
N'est plus qu'une claire vigie,
À qui pèse même le nid
Où l'œil perdu se réfugie !
Tout l'hiver, le regard oiseux,
Trahi par la vitre bossue,
Sur la touffe où furent les œufs
Compose un songe sans issue !
Mais — ô Tristesse de saison,
Qui te consumes en toi-même,
Tu ne peux pas que ma raison
N'espère en le Hêtre Suprême !
Tant de Grâce et de Vétusté !
Se peut-il que toute elle meure,
France, où le moindre nid resté
Balance une fière demeure ?
Mille oiseaux chanteront plus d'un
Souvenir d'atroce tangage,
Quand reverdira Verdun
Sauvé, notre illustre Langage !
Paul Valéry
Poésies
Gallimard, 1976