Garde-toi de porter une main meurtrière
sur les arbres qui sont l'honneur du "Pays-Haut",
de ton Maine sarthois violet de bruyères,
verdissant d'emblavure en ses champs fromentaux.
Ne vas pas entailler, du tranchant de la hache,
l'écorce, derme épais des rugueux peupliers,
rides des beaux ormeaux que l'avril empanache,
plis en spires autour du fût des châtaigniers.
Ne lance pas, brutal, ta cruelle cognée
brandie en l'air comme l'outil du forgeron,
et serrée en tes deux mains fermes, à poignée,
dans la splendeur vivante et sereine du tronc,
dans les muscles ligneux striés de veines roses,
dans les faisceaux d'aubier concentriques et blancs,
dans les fibres qui, sous la glace de nivôse,
soutiennent sans faiblir les longs rameaux branlants.
Ne frappe pas les flancs robustes et le torse
du hêtre titanesque et du rouvre trapu,
du frêne lisse et gris qu'enlace dans sa force
et qu'empampre parfois quelque sarment grappu.
N'entr'ouvre pas, d'une blessure aux lèvres blêmes,
la tendre chair du bouleau blanc, sous ton acier,
la chair du pin nacrée et stillante de gemme,
la rougeoyante chair, si dure, du cormier.
Ne verse pas le sang des grands arbres, la sève
qui, des racines, sourd et fuse jusqu'au front,
translucide en son flux comme en la vasque l'ève,
ou visqueuse comme est le suc des laiterons.
Ne leur enfonce pas, d'un bras tortionnaire,
à grands coups vingtuplés par tes "han" marteleurs,
la lourde lame qui s'acharne et s'exaspère
et dont l'entaille, enfin, les atteint en plein cœur,
leur grand cœur généreux qui te donne en silence
l'ombrage salutaire et doux des ses rameaux
et qui retient ondée et pluie, et les dispense
aux souterraines sources, par de fins réseaux.
Ô massacreur ! tueur de muettes victimes
qui mourront sans un cri de colère pour toi,
dans un frémissement attristé de leur cime
qui seul dira leur peine et leur tragique émoi,
le coteau pleurera les mousses et les sphaignes
qui croissaient sous l'abri des hautes frondaisons
et la fraîcheur qui par les racines l'imprègne,
par de secrets conduits, jusques en ses tréfonds.
Il se desséchera, privé d'eau qui l'irrigue,
et tes neveux, devant ce terroir sans moisson
devenu par ton acte infertile garrigue,
pour ton fer destructeur n'auront que "maudissons".
Honoré Broutelle
Poèmes sarthois
Les Imprimeries du Golfe