Ô pins devant la mer,
Pourquoi donc insister
Par votre fixité
À demander réponse ?
J'ignore les questions
De votre haut mutisme.
L'homme n'entend que lui,
Il en meurt comme vous.
Et nous n'eûmes jamais
Quelque tendre silence
Pour mélanger nos sables,
Vos branches et mes songes.
Mais je me laisse aller
À vous parler en vers,
Je suis plus fou que vous,
Ô camarades sourds,
Ô pins devant la mer,
Ô poseurs de questions
Confuses et touffues,
Je me mêle à votre ombre,
Humble zone d'entente,
Où se joignent nos âmes
Où je vais m'enfonçant,
Comme l'onde dans l'onde.
*
S'il n'était pas d'arbres à ma fenêtre
Pour venir voir jusqu'au profond de moi,
Depuis longtemps il aurait cessé d'être
Ce cœur offert à ses brûlantes lois.
Dans ce long saule ou ce cyprès profond
Qui me connaît et me plaint d'être au monde,
Mon moi posthume est là qui me regarde
Comprenant mal pourquoi je tarde et tarde...
Jules Supervielle
1939 - 1945
Collection blanche
Gallimard