(À la mémoire d'Antonio Machado)
... et pour l'entendre les saules s'inclinèrent vers la rive. Pedro de Espinosa ... peupliers des bords du Duero vous m'accompagnez, mon coeur vous emporte ! Antonio Machado |
1
Suis allé voir les peupliers.
La terre fuyait en tremblant.
La terre, disloquée.
Je ne vis qu'ossements
éparpillés.
Vous absents, se peut-il,
peupliers ?
On entendait
changer de forme la planète.
Se détacher
de son écorce chiffonnée,
jaunie
par ceux, déjà défunts, qui la peuplèrent.
Peupliers,
vous rieurs, se peut-il ?
L'ombre, toujours
L'ombre a cédé les clefs du feu.
Triste malheur que de brûler
alors que les fleuves propagent
leur horreur en feu jusqu'aux mers.
Suis allé voir les peupliers.
( Personne. )
2
Maintenant je me sens léger,
comme vous autres, maintenant
que je suis tout chargé de morts.
Je vais grandir, je vais monter.
Oui, je vais escalader
maintenant que j'ai mille ans.
Retenez-moi, car je m'élève !
Arrêtez-moi : je vous atteins !
Ne me laissez pas - dans le vent -
regarder en bas.
Rafael Alberti
D'Espagne et d'ailleurs
(poèmes d'une vie)
Traduit de l'espagnol par Claude Couffon
Le Temps des Cerises, 1998