À Bente
C'est une nuit d'été que j'ai pour la première fois entendu la forêt parler, je me suis arrêté pour que le bruit de mes pas, - j'ai dominé mon émotion pour que le battement de mon cœur - ne se mêlent pas à cette voix tumultueuse de feuilles, - craquante de branches et glissante de mousse, - et palpitante d'odeurs et d'oiseaux, claire d'été mais sourde de nuit. Je n'ai pourtant pas compris, - je n'ai rien compris, - je n'étais pas habitué, - et de mon côté je n'ai rien dit.
Tu étais avec moi lorsqu'une autre forêt, - une autre nuit - d'un autre été, m'a parlé, - elle parlait à toi, premièrement, - elle nous parlait, - mais c'était la même voix, je l'ai tout de suite reconnue. Toi, tu aurais pu la comprendre, facilement, - tu connais les forêts par cœur, - et moi j'aurai pu, puisque tu étais là, - comprendre quelque chose, - juste assez pour deviner grand'chose. Mais voilà, nous n'avons l'un et l'autre entendu que la voix, tant notre amour nous occupait de son silence - et de sa chanson à lui.
J'étais seul l'autre nuit, - à regarder la forêt, - par la fenêtre, - puisque nous ne vivons plus que deux vies, - et je me disais que tu étais à un bout de la forêt, - et que moi j'étais à l'autre bout, - et qu'il n'y avait au fond qu'une forêt - dans le monde, - entre nous, - et j'espérais que d'arbre en arbre allait capricieusement voler ta voix, - mon amour, - jusqu'à mon amour. La forêt, tant je la regardais, a parlé, mais voilà je ne l'ai pas comprise, - tant je t'écoutais. |
Christian Dotremont
Oeuvres poétiques complètes
Mercure de France