Les arbres ne demandent pas aux morts qui ils furent,
ce qu'ils firent, quels noms les faisaient se retourner
quand le sang coulait encore dans leurs artères ;
leurs racines nous étreignent, dans le silence de la terre,
cherchant passage vers les profondeurs ; et les corps
immobiles, rendus à l'érosion de la matière, n'offrent pas
de résistance à cette ultime copulation.
L'hiver, nous voyons dans la couleur des feuilles les signes
de cet amour souterrain. Il y a des traits sans lumière qui
restituent
la mort à une autre vie, naturelle, invisible,
cherchant dans l'atmosphère la sortie vers l'obscurité
sans rêves de la fosse oubliée. Si nous arrachons ces feuilles,
et les laissons tomber, elles se détruisent plus vite,
se confondant avec le propre vide
de l'univers.
Le vent fait parler ces êtres hésitants quand
il traverse les branches, et une existence occulte tremble
dans les oreilles attentives à l'ombre. Ne demandez pas
à qui s'adressent ces voix : à toi, à moi, à nous
tous en qui le soleil éveille encore la jouissance
des sens ; cependant, aucune réponse ne trouvera
le chemin de cette interrogation privée de sens. Les corps,
qui s'éloignent de leur négation, suivent la logique naturelle.
Seulement la nuit, parfois, un bruit vain
réveille le plus inquiet des pressentiments. Quelqu'un,
dont l'image ne nous est pas étrangère, tente de s'approcher
chaque fois que nous pressons le pas. Il ne sert pourtant à rien,
ce jeu sans partenaires ; et le cœur pressé
retrouve le rythme normal quand la porte s'ouvre,
laissant entrevoir la lumière de la maison, la chaleur des conver-
sations,
la brume des respirations.
Malgré tout, nous cherchons le confort des bois,
nous nous asseyons à l'abri d'un tronc, nous cueillons le fruit
que nous offre la saison tardive. Le jour dissipe
les impressions de la veille ; et les contours visibles
du monde alimentent, en esprit, l'illusion
de l'éternel.
Nuno Júdice
Les degrés du regard
Anthologie de Michel Host
Traduit du portugais par Michel Chandeigne
L'Escampette, 1993