Quand les récoltes sont rentrées
Et que l'hiver est revenu,
Des arbres, en files serrés,
Se déroulent sur le sol nu ;
Ils n'ont pas le port droit des ormes,
Ni des chênes les hauts cimiers ;
Ils sont trapus, noirs et difformes :
Pourtant qu'ils sont beaux mes pommiers !
Leurs rangs épais couvrent la plaine
Et la vallée et les plateaux ;
En droite ligne et d'une haleine
Ils escaladent les coteaux ;
Tout leur est bon, le pré, la lande...
Mais s'il faut du sable aux palmiers,
Il faut de la terre normande
À la racine des pommiers !
Quand Mai sur leur tête arrondie
Pose une couronne de fleurs,
Les filles de la Normandie
N'ont pas de plus fraîches couleurs ;
Leurs floraisons roses et blanches
Sont la gloire de nos fermiers :
Heureux qui peut voir sous leur branches
Crouler la neige des pommiers !
Les matinales tourterelles
Chantent dans leurs rameaux touffus,
Et les geais y font des querelles
Aux piverts logés dans leurs fûts ;
Les grives s'y montrent très dignes
Et tendres comme des ramiers ;
Elles se grisent dans les vignes,
Mais font leurs nids dans les pommiers.
L’automne vient qui les effeuille ;
Les pommiers ont besoin d’appuis,
Et leurs longs bras, pour qu’on les cueille,
Jusqu’à terre inclinent leurs fruits ;
Ève fut prise à leur caresse,
Ils la tentèrent les premiers ;
Gloire à la grande pécheresse !
L'amour est né sous les pommiers !
Leurs fleurs, leurs oiseaux, leurs murmures,
Ont enchanté mes premiers jours,
Et j'ai, plus tard, sous leurs ramures
Mené mes premières amours ;
Que l'on y porte aussi ma bière,
Et mon corps, sans draps ni sommiers,
Dans un coin du vieux cimetière
Dormira bien sous les pommiers !
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